"Dieu m’a mis sur Terre pour que je passe ma vie à élaborer des théories prouvant qu’il n’existe pas." dit James Morrow. En 1947, astralement parlant, Voltaire avait largement eu le temps de se détacher de son enveloppe charnelle archi décomposée, pour loger dans un nouveau nourrisson : James Morrow fut l’heureux élu. Et son choix fut le bon, puisque ce dernier, une fois un diplôme de chez Harvard en poche se met à produire des textes dignes de son ancêtre des Lumières.
L’Apprentie du philosophe fait penser à un certain Candide, dénonçant l’atrocité de son époque à grand coup de prophéties anodines : "c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe", disait-il en observant un malheureux esclave privé de plusieurs de ses membres. Sous couvert de science-fiction, L’Apprentie du philosophe délivre une sorte de parallèle à notre réalité, la montrant sous un nouvel angle.
Le philosophe, c’est Mason Ambrose, le maillon faible, un étudiant échouant au doctorat, sa thèse Ethiques de la terre, ne faisant pas l’unanimité du jury. L’apprentie, c’est Londa, une grande ado sociopathe vivant avec sa mère sur une île, loin de tout. Et qui dit loin de tout dit forcément, tiens, tiens, il y a un truc entre ces deux là. Et quel truc !
Mason Ambrose est embauché par Edwina, la maman, pour faire l’éducation morale de sa fille (Londa), sociopathe sans aucune notion du bien et du mal, qui arrache les ailes de papillons et lance des cailloux pour casser les vitres de la cuisine. S’inspirant de philosophes de l’Antiquité à nos jours, de Socrate à Nietzsche en passant par Freud et Piaget… Ouah la la, la poussière qu’il y a là-dessus dans mon cerveau… Moi, ma prof de philo s’appelait Marilou, c’était la mascotte du lycée, elle était fan de Kant et Spinoza et vous ? Le problème en philo, c’est que je me perds dans ce que je raconte, et je ne retombe pas toujours sur mes pattes, j’ai perdu le fil là…
Je disais donc, le philosophe de l’histoire s’inspire de ses pairs passés et théâtralise des problèmes moraux posés, l’objectif est bien sûr que son élève suive la voix de la sagesse, sous-entendu que la sagesse est nécessairement inhérente à la bonté et au désintéressement, c’est-à-dire penser au bien d’autrui sans dessein vénal en ce que l’identité individuelle ne se construit que parmi des identités collectives, ce qui fait donc le déterminisme de l’histoire, à savoir, comment épanouir son surmoi dans une conscience qui n’en a pas ? Pfff, j’ai fait une phrase à mille points là, ça faisait longtemps que j’avais envie de caser tous ces mots…
Dans L’Apprentie du philosphe, Londa s’acquitte fort bien des exercices scéniques de son maître à penser. C’est alors que le lecteur apprend en même temps que Mason Ambrose (le philosophe), qu’Edwina (la maman) est en fait une sorte de sorcière des éprouvettes, sa Londa de fille a été créée dans un ontogénérateur, genre de chaudron où les fœtus croissent plus vite que la musique. Et ce n’est pas fini puisque Donya et Yolly sont deux petites soeurettes-clones de Londa, vivant chacune dans un coin de l’île, avec chacune un philosophe chargé de leur éducation morale.
Les petites ont des connaissances téléchargées au moyen d’un obscur échange de données, mais l’apprentissage de la vie, la croissance naturelle que vous et moi avons connu, ont permis de développer notre surmoi, genre d’Assemblée Nationale de notre être, ce dont les fillettes sont dépourvues, puisqu’elles ont poussé trop vite.
Puis la maman décède, les fillettes grandissent, les protagonistes se séparent, Londa devient généticienne à son tour, Mason se marie à une jolie étudiante anglaise. Tout va bien jusqu’au jour où un certain John Snow frappe à la porte du couple en se présentant comme leur fils… Le fœtus avorté a fait un tour dans l’ontogénérateur et le voilà adulte, avec tous les fœtus de la ville et d’autres cités. Et la guerre est déclarée…
C’est comme ça que Mason et Londa reprennent contact, Mason toujours aussi pommé, Londa, star médiatique qui choisit de remodeler la conscience collective en prenant en otage les influents passagers du New Titanic…
Promis, je ne vous raconte pas la fin, même si mes moults paroles ne traduisent pas le quart de la profondeur du roman. A partir d’une trépidante aventure de science-fiction, L’Apprentie du philosophe fait s’interroger notre conscience sur ce qu’elle fait, sur nos désirs, sur Mais où allons-nous ? Mais pourquoi faire ça ? Est-ce vraiment nécessaire ?
Et toutes ces questions trouvent leur réponse dans le livre, car le talent de James Morrow, c’est aussi d’avoir mis cette philosophie complexe à la portée de la simple mortelle que je suis. |