Comment un disque peut-il devenir inoubliable ? Question fondamentale à laquelle on aimerait répondre : les disques inoubliables sont ceux qu’on n’a pas besoin de trop écouter ; ils sont toujours présents dans notre quotidien, on les invoque sans y penser, on les cite inconsciemment. Par exemple il ne se passe pas un jour sans que je pense à Vauxhall and I de Morrissey, celui-ci m’a marqué au fer rouge, et rien ne pourra faire que la cicatrice n’existe. Jamais un auteur ne s’était livré de cette manière ; jamais une solitude n’avait été si bouleversante.
Le troisième album de Joseph D’Anvers, Rouge Fer, marque-t-il, lui, au fer rouge, ou alors le titre n’est-il qu’artifice prétendant décrire un sentiment absent ? Il est encore tôt pour répondre à cette question, mais l’importance accordée à l’écriture, d’une part égale avec la musique, permet de dire que ce disque n’est pas de ceux qu’on oublie. Beaux arrangements, boucles de clavier anglo-saxonnes, paroles directes au service d’un certain romantisme. Et il s’agit ici d’un romantisme noir traversé par les thèmes de la déchirure, de la chute, de la séparation. Pourtant ces états n’empêchent pas l’éveil, ni la possibilité de surmonter les ruptures : les fêlures n’existent que pour laisser passer la lumière. "Quand la tempête recommencera, en mille éclats mon cœur volera", chante-t-il sur "La Chute".
La clef de l’album se situe en son centre avec la chanson "La Résilience", qui donne assurément la mesure à l’ensemble du disque. En psychologie, ce mot désormais à la mode signifie : capacité à vivre, à se développer, en surmontant les chocs traumatiques, l’adversité. En quelques mots d’une grande simplicité, D’Anvers exprime magnifiquement cette notion : "Le temps tue mais le temps t’attendra encore longtemps", répétée en boucle dans la chanson. Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ? Pas sûr, il faudrait dire plutôt : à l’école de la mélancolie, tout ce qui me tue a une chance d’être renversé. Rouge Fer en propose l’hypothèse, sous des couleurs bleu-pétrole (la référence n’est pas innocente). Et en bout de piste, ce constat : une âme solitaire est irréconciliable ; et un corps de brisure reste encore vivant, bien que marqué de blessures. Vivant et fier, comme Morrissey dans son douloureux Vauxhall and I. |