Après avoir été musicien, et notamment le bassiste du groupe Sugarcubes qui a révélé la chanteuse Bjork, Bragi Olafsson s'est reconverti, avec un grand succès au plan national, dans la littérature. Un de ses romans, "Les animaux de compagnie" traduit en français vient de paraître aux Editions Actes Sud. De quoi juger sur pièce.
Ce roman, qui n'a ni queue ni tête, ni d'ailleurs de dénouement au sens classique du terme, et dont les animaux de compagnie ne sont peut-être pas ceux de la gente animalière, raconte une mésaventure qui pourrait être vaudevillesque - car c'est l'histoire d'un mec qui se cache non pas dans l'armoire mais sous le lit - n'était un double effet kiss cool, que l'on attribuerait volontiers à la spécificité de l'humour islandais à condition de le connaître.
Le monsieur qui joue à cache-cache, Emil, coule des jours heureux, jeune millionnaire gagnant du gros lot à la loterie, jusqu'au jour où, se rappelle à son mauvais souvenir un homme en anorak bleu, un poil psychopathe et sortant au demeurant d'un internement psychiatrique, lequel, lors d'un séjour commun à Londres pour faire office de baby sitter pour animaux, les avaient pas très proprement massacrés.
Et pour l'éviter, alors que ce dernier, s'introduit de force dans la maison pour l'attendre plus à son aise, il ne trouve pas d'autre solution que se cacher sous son lit. Et la situation va s'éterniser puisque l'intrus prend ses aises pour l'attendre, répondant au téléphone,lisant son courrier, buvant son whisky et accueillant les visiteurs qui vont se faire une petite soirée entre amis dont il fait les frais.
Tapi sous le lit, devenu voyeur dans sa propre maison, dépossédé de la maîtrise de son petit univers, tout semble basculer. Dans un récit fantasque et fantaisiste s'instille, au fil des pages et surtout au gré des soliloques du héros-narrateur, une inquiétante étrangeté qui sème le trouble ("Je ressens toujours le même sentiment d'étrangeté ; je n'arrive pas à y croire, je me dis que c'est probablement un cauchemar").
Avant que d'inciter les petites cellules grises du lecteur à douter de la véracité du récit ("C'est comme si Havardur savait que je suis dans la pièce voisine et s'amusait à remuer le couteau dans les plaies qu'il m'a déjà infligées, autrefois comme aujourd'hui") puis de la santé mentale du narrateur ("Pourquoi diable est-ce que je n'interviens pas ? Est-ce que j'ai perdu la raison ? Tout semble indiquer qu'ils sont chez eux dans mon appartement à moi").
Bragi Olafsson mène bien sa barque par la méthode du puzzle inversé, en alternant récit en temps réel, flash-backs et digressions, qui déstabilise les perceptions du réel d'autant qu'il aborde les problématique du vrai et du faux à travers la thématique de l'identité, qu'il s'agisse de la perception d'autrui et la sienne, de la substitution d'identité ou des troubles identitaires.
Impossible dès lors de ne pas penser par exemple à Kafka mais surtout plus contemporain à Paul Auster et à sa "Trilogie new-yorkaise". Or, Bragi Olafsson a traduit "La cité de verre". Tout s'éclaire. En voici donc la déclinaison customisée à l'islandaise. |