Notre histoire avec Josh T. Pearson ne date pas d’hier et s’apparenterait presque à longue – et parfois erratique – relation. De celles en tout cas qui marquent durablement… Tout avait pourtant mal commencé : un opus inaugural tonitruant (Lift To Experience - The Texas-Jerusalem Crossroads) insuffisamment creusé et trop hâtivement catalogué post-rock lambda. Des emplois du temps ne pouvant s’accorder : de notre fait (Cigale 2001) ou du sien (ouverture de Noir Désir en 2002). Et puis très rapidement, l’évidente révélation de la grandeur du bazar dans la foulée de la disparition de Lift To Experience. Ces drones étirés sans fin, ces envolées soniques ahurissantes. Sorte de mariage improbable entre le Thirteenth Floor Elevator et My Bloody Valentine. Pied au plancher, potentiomètres au maximum, Neal Cassady aurait adoré.
S’ensuivra pour Josh Pearson – le personnage central de LTE – une longue traversée du désert médiatique que seuls un split avec Dirty Three (sublime "I'm So Lonesome I Could Cry" dépossédé de Hank Williams) et un live autoproduit sauront troubler. Durant ces années, Josh cultive son spleen à Berlin où il délivre un blues-folk aussi assourdissant que magnétique. Dans l’exacte lignée de ses productions antérieures. A l’automne 2006, Josh refait son apparition pour deux concerts à six mois d’intervalle dans la capitale (à Mains d’œuvres puis à la Maroquinerie dans le cadre des Nuits de l’Alligator). L’occasion de juger sur pièce le texan et de croiser enfin son regard. Et quel regard ! Posés sur un visage d’enfant mangé par une épaisse barbe marron, des yeux d’un bleu profond, malicieux. Un peu lubriques également.
Il faudra pourtant attendre l’été suivant et un séjour dans la campagne anglaise pour recevoir une bénédiction en bonne et due forme. Dernier jour du festival End Of The Road dans le Dorset, les cernes assombrissent des figures déjà creusées par la fatigue. Devant un public hagard, c’est un Josh Pearson tout aussi hagard et désespéré qui délivrera sans conteste la meilleure prestation du week-end. Et ce souvenir toujours vivace de ses boots rouges frappant les planches de bois, propageant des vibrations jusqu’à l’autre bout de la scène. Electrisant littéralement les premiers rangs.
A peu près à la même époque, on commence à croiser Josh Pearson aux concerts et dans le quartier Oberkampf. Souvent planté au milieu de la rue, il assiste imperturbable au va-et-vient des voitures et des passants. Comme étranger au monde qui l’entoure. Les rumeurs les plus folles courent à son sujet. Tous les labels parisiens seraient sur les rangs pour le signer. Il habiterait au-dessus d’une pizzéria et s’y produirait même à l’occasion. En fait de pizzéria, il s’agissait d’une crêperie (West Country Girl) où le texan a présidé une dizaine fois aux destinées de pseudo soirées open mic. Dans un rôle assez inattendu de maître de cérémonie, adoubant ses coups de cœurs locaux (H-Burns), tapant volontiers le bœuf avec ses compatriotes – la toujours formidable Bosque Brown –. Instants rares et magiques.
Fin 2009, All Tomorrow’s Parties réunit la crème de ses favoris pour fêter en grande pompe dix années d’activisme musical forcené en camps de vacances. Josh fait évidemment partie du voyage mais son concert tiède et poussif déçoit ; la raison étant donnée sans détour par l’intéressé dès l’ouverture : "I should have left this party yesterday". Reste pour la postérité un splendide florilège de blagues souvent drôles et salaces. Plus ou moins intelligibles aussi.
Retour quelques mois plus tard dans le onzième arrondissement où Josh s’apprêterait enfin à sortir son premier LP. En guise d’album solo, on se contentera d’une immortalisation de ses récentes aventures bretonnes. Un compilation au titre sans surprise (West Country Night), au final sympathique, quoiqu’anecdotique. Matérialisée quelques mois plus tard par une soirée sans grand relief au Nouveau Casino. Et de se retrouver rapidement à deviser au fumoir avec des inconnus, se déversant mutuellement notre désenchantement présent. Ce soir de juin 2010, Josh avait choisi de rentrer dans le rang. Et nous venions du même coup de perdre une de nos valeurs sûres. Triste. Heureusement, un intermède aoûtien ravivera notre passion. Perché au sommet du Fort de Saint-Père, tel un prédicateur à la croisée des vents, Josh Pearson aura su redonner un peu de magie à une journée bancale avant le grand barnum poussif des Flaming Lips.
Quand début 2011, on se rue à pas feutrés sur Last of the Country Gentleman, ce disque que l’on attendait plus, on n’attend guère de miracle. Et pourtant, on peut véritablement parler d’une renaissance tant ces sept longues plages transpirent les voyages, les rencontres mais surtout les questionnements et les refoulements de leur auteur. Comme si ces dix dernières années n’avaient été qu’une longue quête pour de débarrasser de quelques vieux démons.
Lancé depuis en pleine promo, remis dans le circuit des tournées, Josh Pearson faisait la semaine dernière une halte, forcément particulière, au Café de la Danse. La dernière fois que l’on avait aperçu le texan dans ces murs, Micah P. Hinson tenait la scène et nous avions vainement attendu un duo entre les deux hommes.
Cette fois, Josh se présente seul, en forme et d’humeur potache. Au point de désosser d’entrée la vieille carcasse disco de "Rivers Of Babylon" de Boney M. Pourtant, rapidement il entre dans le vif de son sujet : "Sweetheart I Ain’t Your Christ", puis "Woman, When I’ve Raised Hell". L’ambiance s’assombrit à vue d’oeil permettant à son set de gagner en intensité. Exécutant d’ailleurs la quasi intégralité de son opus.
Amusant également de souligner la large place accordée à la mise en scène : posture christique, porté de guitare élevé, pantalon étroit, jambes serrées, regard flou à la recherche d’un inaccessible néant, barbe aussi impeccable qu’imposante. Et que dire de cette ombre gigantesque dessinée sur le mur de pierre à l’arrière de la scène ?
Moins habité, moins torturé qu’auparavant, Josh soigne son mysticisme mondain ; le cadre intimiste de la salle du Passage Louis-Philippe participant évidement largement au tableau. Les titres s’allongent, les spectateurs retiennent leur souffle. On restera moins convaincu par ses tentatives – finalement concluantes – de faire participer le public ("Devil’s On The Run") mais ce n’a que peu d’importance. En effet, après ces dix années, on quitte la salle ravis, avec cette délicieuse impression d’avoir enfin découvert le vrai Josh. |