Je suis entourée de gens pressés, qui n’ont pas le temps, qui n’ont pas pu, je ne sais pas où ils trouvent le temps de se souvenir de leur nom. Paraît que ça aussi, c’est le fléau du siècle, tout est sensé aller plus vite, mais le temps manque tout le temps. Quelle plaie ! Jean Fernot ne s’en soucie guère, il a la solution : les nouvelles. Non pas les JT, ni les vite-dit en fin de journal, mais des historiettes courtes, pas de description de personnage, lieu unique, action unique… Emballez, c’est pesé !
Son nouveau recueil s’intitule Caprices de la chair, ça aurait aussi pu être "Les sept péchés capitaux", ou "Le vice et la vertu : qui-quoi-quand ?". 17 nouvelles, à consommer dans un arrêt de bus, sur un quai de gare, entre deux rendez-vous, pendant la pub, pendant que le four préchauffe. Un thème : la chair. Un verbe : l’ironie, ou qui-est-pris-qui-croyait-prendre. Un ton : l’humour.
Pour les gens qui ont encore un peu de temps pour prendre le temps de méditer quelques minutes sur la condition humaine, notre condition, nos travers, nos vices, nos penchants vénaux et lubriques, nos envies et nos jalousies. Pour chaque nouvelle, une fin qui retourne la situation, qui fait sourire en se disant "hé hé, bien fait", ou alors "dans tes dents vilain crapaud !" (voire plus vulgaire, ça dépend des moments…).
Allez, un exemple : "La parure", ou l’histoire d’une vielle femme, pas encore sénile, autrefois tendrement aimée d’un riche cadre dynamique, lui-même généreux auteur d’un cadeau prestigieux : une superbe parure d’émeraudes et de diamants brillants de mille feux. Leur premier amour, intense et passionnant, finit dans des circonstances tragiques… L’âgée rombière, qui a depuis vécu dans d’autres lits, garde toujours précieusement ce distingué cadeau, sur lequel bavent honteusement ses petits-enfants. Elle réclame à ses gentils descendants une dernière faveur de mourante (vous avez surement deviné) : être enterrée avec ses chers bijoux. Mince ! Comment satisfaire les demandes d’une vielle folle, proche de la tombe en plus ! A quoi peut donc bien servir une parure de cette valeur sur un cadavre ? Le petit-fils génial trouve une idée en or : faire une copie, et tant pis pour les flammes de l’enfer. Et c’est là que le bât blesse : la parure est déjà une copie (PAN ! une fois), l’originale était pour la femme du cadre (PAN ! deux fois), qui était enceinte (PAN ! trois fois)… ça, c’est fait !
Il y en a dix-sept des comme ça, avec des curés, avec des maisons closes, des prostituées, des nonnes, des jeunes, des vieux, un beau et une moche, des parents, des politiciens, une pie, des hommes, des femmes, des gens que l’on croise tous les jours dans la rue. Un genre de livre comme un consommable, on prend, on lit, on met de côté (ben oui, faut plus jeter maintenant, faut re-cy-cler !), on relit, on replonge dedans.
En restant justement cocasse, mais jamais vulgaire, lubrique, mais jamais déplacé, Jean Fernot nous livre une étonnante peinture de la société, qui n’a pas enterré ses pêchés capitaux. |