Pour tous ceux qui ne sont pas des inconditionnels absolus depuis 1980, date de son entrée en littérature avec le grand succès éditorial du spectaculaire roman policier médiéval "Le nom de la rose", du sémillant Umberto Eco, essayiste et romancier italien et titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l’École supérieure des sciences humaines à L'Université de Bologne, et qui partiraient à sa découverte avec "Le cimetière de Prague", son dernier opus en date, il ne paraît ni incongru ni iconoclaste de leur conseiller - une fois n'est pas coutume - de commencer par la fin.
Car l'auteur y place des "Inutiles précisions érudites" qui avaient leur légitime place in limine - mais sans doute s'agit-il de sa part d'une joyeuse facétie pour jouer avec le lecteur qui selon lui ne doit être ni intraitable ni avoir une "peu foudroyante comprenette" - qui ressortissent à l'avertissement au terme desquelles il indique, se qualifiant pseudo-modestement de "Narrateur", que la trame de ce roman bâti sur le mode du flash-back est "assez chaotique" et que le lecteur pourrait ne pas réussir à se référer au déroulement linéaire des faits" tout comme le Narrateur a "souvent peiné pour s'y retrouver".
L'humour, la lucidité et le recul par rapport à sa plume n'étant pas les moindres de ses qualités, ce roman, agrémenté d'illustrations tirées des ses archives iconographiques,
constitue une oeuvre foisonnante et surabondante, ellipse positive pour éviter l'adjectif "amphigourique", construit sur le mode du roman feuilleton du 19ème siècle, siècle dans lequel se situe au demeurant l'intrigue.
Par ailleurs, il use sans modération de maints procédés rhétoriques qui, certes excitent les petites cellules grises, mais qui, sur la durée, plus de 500 pages bien tassées, et sur un sujet sensible, l'antisémitisme à partir du mythe de la conspiration juive ou judéo-maçonnique internationale, peuvent conduire à la confusion.
En effet, Umberto Eco,
"philosophe qui fait de la philosophie du lundi au vendredi, et qui, les week-ends, écrit des romans", entraîne le lecteur dans les bas-fonds parisiens riches en complots, machinations et mystères pour suivre à la trace, à partir de son journal assorti d'explications de texte par le Narrateur, les pérégrinations, de la France à Prague en passant par la Sicile, et méfaits d'un personnage fictionnel schizophrène, esprit malade et corrompu par sa haine de l'humain,
spécialiste des faux en écriture doublé d'un prêtre exorciste.
Cet homme raconte les tenants et les aboutissants qui l'auraient amené à rédiger, ou à compiler, le must de la mythologie conspirationniste moderne et contemporaine, qui a encore ses adeptes, celui des
fameux "Protocoles des sages de Sion" détaillant un plan de domination du monde, faux apparu au début du 20ème siècle en Russie, établi par un faussaire à la demande de la police secrète tsariste et repris par l'idéologie nazie.
Mêlant le vrai et le faux, les faits réels et les rumeurs, Umberto Eco introduit une certaine ambiguité qui a déclenché une polémique dès la parution de son roman. A chacun donc de faire sa religion. |