Tragédie de Jean-Marie Piemme d'après "Jules César" et "Antoine et Cléopâtre" de Shakespeare, mise en scène de Jean Boillot, avec Jean Boillot, Laurent conoir, Roland Gervet, Philippe Lardaud, Magali Montoya, Julie Pouillon, Isabelle Ronayette et Assane Timbo.
Inspiré par la résonance contemporaine de textes de Shakespeare et de Plutarque, Jean-Marie Piemme s'immerge dans la Rome antique au moment décisif de l'assassinat de César qui marque la transition entre la chute de la République, devenue dictatoriale et l'avènement de Empire autocratique instauré par son fils adoptif Octave.
"Le sang des amis" illustre, à travers une fresque épique comment les guerres civiles ou plus précisément les luttes intestines gouvernent l'Histoire. Celles des pays et des peuples qui s'écrit à partir de l'affrontement de figures politiques avides de puissance qui révèlent des hommes, qui comme tous les hommes sont essentiellement guerriers et ambivalents ("Les justiciers sont aussi des assassins, les hommes d'honneur sont aussi des judas"), soumis à des tensions, des désirs et des pulsions, tant existentielles que métaphysiques, dont le pouvoir constituent l'instrument de réalisation et la trahison le meilleur et unique moyen d'y parvenir.
Point de toge ni de cuirasse mais des costumes-tailleurs noirs, point de coulisse mais des changements à vue à la manière du théâtre naturel brechtien, point de décor péplumesque mais la distanciation d'un studio d'enregistrement dont les panneaux isolants font office de site cinéraire pour ce que le metteur en scène Jean Boillot a conçu avec la collaboration de Christophe Triau pour la dramaturgie comme "une narration par le choeur des morts à travers le corps d'acteurs mimes funèbres"
Dans une intelligente et très cadrée mise en scène, les parti-pris de "narration-jeu" et de fragmentation scénique se concrétisent de manière cohérente dans un quadriptyque articulé autour des motifs tragiques que sont l'aveuglement, l'absolu, l'amour et l'amitié et truffé de réverbérations contemporaines.
César, aveugle face à son destin ("je ne crains rien parce que je n'imagine pas ma mort"), est trahi et assassiné par son protégé, son ami érigé au rang de fils, Brutus, philosophe épris d'un idéal de liberté dont la main est armée par une épouse fanatique ("Nous n'obtiendrons rien des monstres en restant humains"). Son fidèle, le compulsif Antoine, est trop épris de Cléopâtre, qui est aussi une reine politique, pour se méfier du cynisme d'Octave.
Le texte époustouflant de Jean-Marie Piemme, qui use du tragique sublime comme du trivial farcesque, est magnifiquement porté par des comédiens excellents. Magali Montoya et Laurent Conoir assurent efficacement une pluralité de rôles et les intermèdes tragi-comiques.
Dans les rôles principaux, Philippe Lardaud (César et Octave), Roland Gervet (Antoine), Assane Timbo (Brutus), Julie Pouillon (Porcia) et Isabelle Ronayette (Calpurnia et Cléopâtre)
procèdent à une remarquable incarnation qui restitue la puissance du verbe et de la métaphore comme l'humanité poignante des âmes convoquées. |