Comédie dramatique de August Strindberg, mise en scène de Christian Schiaretti, avec Christophe Maltot, Clara Simpson et Wladimir Yordanoff.
Le diptyque August Strindberg mis en scène par Christian Schiaretti prouve qu'il est encore possible de monter des pièces du répertoire moderne dans le respect de la tradition avec les principes de la mise en scène classique sans le recours systématique à la recontextualisation, à la dénaturation du texte et/ou au procédé du théâtre total.
Cela étant mieux vaut le savoir avant d'aller voir "Créanciers" qui est, à cet égard, exemplaire.
Selon la qualification même de l'auteur, cette "tragi-comédie en trois tableaux" s'avère être, à travers trois duos tournants dans une déclinaison en trio infernal du trio vaudevillesque, le match en trois rounds d'une mise à mort inéluctable.
Une mise à mort menée avec la froide détermination qui régit les relations humaines selon l'axiome strindbergien tenant à leur composante marchande qui fait de chacun, et alternativement, un créancier ou un débiteur
et qu'une dette, top ou tard, doit se régler en nature, le créancier "se payant sur la bête".
D'autant que selon la conception du monde pour Strindberg, qui est celle d'une guerre atavique, il n'y a ni trêve, ni armistice, ni prisonnier. Le combat ne peut que s'achever par la mort.
Un combat qui en l'espèce est celui de la guerre des sexes au sein du huis clos conjugal. Nourri d'un fond autobiographique passionnel, et à travers la casuistique amoureuse, Strindberg, qui tient la femme pour inférieure par nature et infidèle par essence, met en scène l'archétype de la femme qui a développé une stratégie d'épanouissement personnel basé sur l'exploitation du sentiment amoureux des hommes.
Elle a utilisé son premier mari, fin lettré, pour en faire son pygmalion, puis vampirisé le second, artiste, pour s'introduire dans les milieux capables d'assouvir ses ambitions littéraires. Et voici que surgit l'ex-mari auprès du second
s'inquiètant de sa santé altérée par divers tourments touchant notamment à la détérioration de ses relations avec son épouse. Le trio ne formera pas un ménage à trois de comédie de moeurs à la française. La machine de guerre est en marche.
Christian Schiaretti signe une mise en scène précise et parfaitement maîtrisée qui donne à entendre le texte qui se déroule de manière implacable avec une intensité dramatique croissante qui ne laisse espérer aucune rédemption.
Dans le décor très épuré conçu par Renaud de Fontainieu, un salon rouge est posé sur une dalle trapézoïdale verte en ligne de fuite. La robe de la femme est rouge coquelicot. Couleur du sang et de la passion. Mais des personnages, engoncé dans un manteau, enserré dans un corset ou étouffé par un col de chemise, n'émane aucune passion charnelle. Comme s'ils étaient déjà vidés de leur substance.
Seules explosent les paroles qu'ils se jettent au visage comme autant d'armes vénéneuses. Et, avec une rigueur absolue, la partition est magistralement portée par les trois comédiens.
Christophe Maltot, presque maigre, émacié, incarne parfaitement l'artiste médiocre mais hypersensible, nerveusement épuisé, qui, a défaut de façonner une oeuvre, a contribué à la reconnaissance de celle de son épouse. Clara Simpson
campe parfaitement la femme d'autant plus dangereuse qu'elle est imperméable au sentiment.
Quant à Wladimir Yordanoff, en pleine possession de son art, disposant d'une époustouflante palette de jeu et de nuances, il se montre étourdissant dans le rôle méphistofélique de l'ex-mari vengeur. |