Parmi mes premiers émois musicaux sérieux et respectables (c'est-à-dire : de ceux dont, adulte, je n'ai pas à rire ou rougir ; ceux que je pourrais encore défendre avec bonne foi), il y avait Pink Floyd. "Le Pink Floyd", comme on le nomme parfois avec affectation quand on veut se détacher de la masse de ceux qui pourraient en avoir aimé autant et dont il est rassurant de penser qu'ils s'imaginent certainement que le nom de la formation avait quelque chose à voir avec les flamands roses plutôt qu'avec Pink Anderson et Floyd Council.
Cette juvénile adoration, en tout cas, explique certainement le plaisir pris ce samedi 21 mai dans la petite sale voûtée de la Malterie.
C'est en effet sous le signe d'une filiation avec les augustes britons qu'il faut situer les compositions étirées de Crippled Black Phoenix.
Pour preuves : le chant laconique de Joe Volk, façon Roger Waters période Dark Side of The Moon ou le jeu de slide guitar de Karl Demata, qui donne l'occasion de réaliser que l'expression aujourd'hui éculée de "riffs télluriques" aurait pu avec pertinence avoir été inventée pour David Gilmour.
A ce titre, les prestations live de la formation ont aujourd'hui retrouvé un certain classicisme rock, loin de la réputation post-rockéenne et hybride des débuts. Le supergroupe chimérique s'est aujourd'hui stabilisé et propose sur scène un rock qui, pour être excellent, ne réalise plus le programme d'aucune révolution.
Reste que huit musiciens jouant dans une salle de poche comme ils auraient joué, certainement, devant une audience dix ou peut-être même cent fois plus importante, cela ne peut manquer d'avoir quelque chose d'imposant.
Rien que par ce gigantisme sonore, Crippled Black Phoenix ne laisserait déjà pas indifférent.
En ouverture, les très jeunes Le Duc Factory auront joué dans une semblable cour, ajoutant à l'influence floydienne celle d'autres formations tout aussi recommandables comme Hawkwind ou, de façon frappante, King Crimson.
Bien excellent chemin que celui sur lequel ces jeunes lillois se sont ainsi engagés, et l'on ne saurait que leur souhaiter un excellent courage pour le parcourir avec tout le succès que leur enthousiasme suffit à leur mériter – car il est long, très long, le chemin de ces musiques, savantes, complexes et riches.
Le rock progressif, dans sa grandiloquence, est en effet de ces genres qui ne supportent guère la moindre faiblesse, la moindre légèreté, la moindre approximation, non plus que la moindre exagération ou affectation, sous réserve, toujours, de basculer dans le grotesque ou la vulgarité ; voire pire : la caricature. |