Nous retrouvons Saïda
Churchill après une représentation de son spectacle
" J'arrive". Elle est
un peu fatiguée et a faim. Un spectateur l’accoste
pour obtenir un entretien immédiat. Elle invoque l’interview
pour le différer. Nous allons dans une brasserie et elle
renonce à dîner en raison de l’accueil plutôt
désagréable du serveur.
Ensuite, à deux reprises, le spectateur éconduit
revient à la charge et nous devons également essuyer
le concert de rue d’un musicien tonitruant qui s’impose
sans vergogne à chaque table sans compter les incontournables
pétards du 14 juillet.
D'où une interview un peu décousue et une rencontre
comme Saïda Churchill pleine d'imprévu...
Dans votre dossier de presse vous indiquez que
vous aviez un tempérament d’artiste mais que votre
addiction pour le théâtre est tardive. Quel événement
ou rencontre en a été le révélateur
?
Saïda Churchill : Mes parents avaient 9 enfants
et n’avaient pas le temps de s’occuper de nous. Ils
ne pouvaient pas se payer le luxe comme les parents de certaines
classes sociales d’encourager les penchants de leurs enfants.
Mais moi je savais bien qu’à la moindre occasion je
ferais du théâtre. J’ai été sur
scène plusieurs fois : à 5 ans, puis à 18 ans
pour une pièce de Pirandello que nous avons répété
un an. Et je n’ai jamais plus travaillé autant pour
une pièce qu’à ce moment-là. Mais ce
n’était qu’une parenthèse dans la vie
littéraire acr c’était plutôt ça
mon truc. J’ai fait des études de lettres mais je ne
fais rien avec préméditation. Tout se passe comme
si je me promenais dans la vie et que je rencontre les choses qui
viennent à moi.
L’ami avec qui je vivais m’a incité
à m’inscrire dans un cours de théâtre.
Je me suis inscrite au cours de Niels Arestrup et Maurice Benichou.
Ce n’est pas pour autant que je travaillais des scènes
et jouais devant les autres. Je ne comprenais pas très bien,
je n’avais pas envie de me lancer. Je faisais certaines choses
dans des impros mais je n’avais pas envie d’apprendre
des scènes, faire du théâtre sur la scène.
Et je me suis bien plus dans ce cours parce que eux non plus ne
croyaient pas à cette démarche, à l’énergie,
au volontarisme. Je me suis promenée dans ce cours, je me
suis promenée dans la vie. Je ne fais pas du tout de plan
de carrière.
Les rencontres sont aléatoires. Donc vous
avez une bonne étoile ?
Saïda Churchill : Oui mais le fait de vivre
ainsi créée une trajectoire qui permet de rencontrer
les gens qui vont vous forcer à faire les choses. La rencontre
avec Romain Bouteille est une évidence. Tout vient de là.
Et nous avons mis longtemps à nous parler car chacun voyait
que l’autre vivait de la même façon. Il ne projette
jamais rien. Quand il construit un théâtre il pose
une pierre. Puis après une autre. Il n’y a pas de but.
Il a dû voir que j’étais comme ça alors
que je n’en avais pas vraiment conscience. On se reconnaît.
De même en ce moment. J’arrive au Lucernaire et le théâtre
est repris par les gens de l’Harmattan qui correspondent encore
plus à ce que je veux, à ce que j’aime, à
ce que je suis. Les choses sont dans une cohérence qui me
va bien.
La rencontre avec Romain Bouteille est donc déterminante
?
Saïda Churchill : Il jouait au Café
de la Gare une pièce qui était un one-man-show qui
s’appelait "La conscience nationale des faisans d’élevage".
Il voulait partir et les gens du Café de la Gare voulaient
jouer une autre pièce avec lui donc il l’a proposé
à neuf. Et c’était extraordinaire. Ensuite il
a rejoué le même texte seul au Splendid sous le titre"
On achève bien les veaux". Quand j’ai vu la pièce
à neuf j’ai eu un choc.
Je ne savais pas qu’on avait le droit de
dire ce que Romain disait. Je pensais qu’on avait pas le droit
de le faire et qu’on était voué à une
espèce de malheur. Pour moi le manque de liberté de
pensée et d’expression c’est la mort. Je me suis
dit : C’est ça que je veux faire. Et Romain l’a
compris. A partir de ce moment, il s’est concentré
sur ce but c’est que moi je fasse ça. Il m’a
aidé à écrire ma première pièce
"Y’en pas que des belles" qui était celle
de l’apprentissage. Je l’ai beaucoup jouée en
1989 à la Cave du Cloître et en 1990 à la Vielle
XXXX. Et puis il y eu J’arrive qui est beaucoup plus proche
de ma vie, de mon personnage, de mes pensées, de mes opinions.
Et voilà. Je peux dire que je me suis installée dans
le domaine.
A plusieurs reprises dans votre dossier de presse,
vous insistez sur votre itinéraire géographique et
notamment sur le fait de quitter Paris. Ce n’est donc pas
neutre. On travaille mieux en province ?
Saïda Churchill : On ne travaille pas mieux
maison vit autre chose. Surtout à Marseille. Partir de Paris,
Romain le voulait donc cela voulait dire moi aussi mais j’étais
un peu catastrophée. Mais c’est une impression très
très intéressante de se retrouver dans une ville comme
Marseille qui quand on ne la connaît pas et qu’on y
débarque pour y vivre est presque une ville étrangère.
D’ailleurs cet accent qu’on trouve rigolo ou pas, je
n’ai pas d’opinion là dessus, je n’ai pas
l’humour facile, est la marque d’une ville étrangère,
vous n’êtes pas vraiment en France, sans être
vraiment à dans un autre pays. On vous reconnaît à
l’accent et vous êtes un expatrié. Et j’adore
la position d’étrangère.
J’ai toujours aimé ça. Ça
me donne l’impression d’être toujours en voyage.
Je suis française d’origine marocaine et je joue dans
ma tête avec ça. Je ne suis pas là vraiment.
Mais je ne suis pas là-bas non plus. Je décide sur
le moment ce que je suis ce que je ne suis pas. Par moment, c’est
même un peu ambigu. J’en profite aussi pour mes colères,
mes racines, mes déracinements, comme dans cette histoire
de la fausse agression antisémite. J’ai pris position.
Etre à Marseille après avoir tout
quitté, vivre dans ce grand appartement qui était
un atelier de peintre dans le quartier du vieux port, entendre les
mouettes, la mer, descendre faire des courses et parler à
des gens qui ont un accent à couper au couteau qui ne vous
connaissent pas et avec qui vous ne franchirez jamais le cap d’être
c’est vraiment très intéressant. On est étranger
et on le reste en partant. Cela permet de vivre à fond la
grandeur de la solitude. C’est quelque chose qu’on ne
vit pas assez.
Et puis cet enfant qui est venu là alors
qu’il n’était pas prévu. Pas de décision
mais quand c’est là c’est exactement ce qu’il
fallait. Retour à Paris quand on me propose de revenir jouer
à Paris. D’où une parenthèse de 3 ans
avec 3 ans de Marseille en moi, plus un enfant, plus le plaisir
de revenir jouer à Paris.
Quelle est la genèse de ce spectacle ?
Saïda Churchill : J’ai traversé
une période de dépression. Comme on dit la dépression
est une maladie chronique chez les acteurs. Mais là c’était
plus grave car je n’avais plus envie de rien faire. Ce n’est
pas que je n’avais plus rien à dire, par manque d’inspiration,
mais tout me paraissait vain. Je me souviens avoir dit à
Romain : "Tout ce qui me vient à l’esprit c’est
ce que je ne veux pas faire sur scène". Et il m’a
dit : "Et bien tu n’as qu’à partir de là".
Le spectacle est né de tout ce qui m’agace, de tous
les sujets que je ne veux pas aborder et de les aborder en disant
que je ne veux pas les aborder. A partir de ce déclic, le
spectacle s’est écrit dans l’évidence.
C’était une thérapie, une
catharsis ?
Saïda Churchill : Vous faites bien de dire
une thérapie mais la thérapie je l'ai vécu
un peu avant. Dans cette parenthèse, il y a eu le seigneur
des anneaux. Cela m’agace depuis qu’il y a eu ces films
ni faits ni à faire que je suis allée voir avec mon
fils. J’avais lu les livres de Tolkien dont Romain était
fan…
Pétarades du 14 juillet
Saïda Churchill : C’est bien là
parce que s’il y avait un coup de feu on ne s’en rendrait
même pas compte. Donc Romain lisait et me racontait l’histoire
de telle façon que je me disais qu’il devait enregistrer
ces récits car c’est un formidable conteur. Et il a
jamais exploité ce don de conteur, de diseur de poèmes.
Quand il dit des poèmes de La Fontaine ou d’Aragon,
ça devient insupportable ensuite de les entendre dit par
quelqu’un d’autre. Je me suis dit qu’il fallait
faire le résumé des livres pour qu’il raconte
et qu’on puisse le vendre. Et je l’ai fait. Ça
m’a pris deux mois à raison de 10 heures par jour.
Nous avons fait l’enregistrement mais nous n’avions
pas de distributeur et je n’avais pas envie d’en chercher.
L’essentiel c’est que c’est là. Et puis
maintenant avec la folie du film.
Interruption due au chanteur de rue
Saïda Churchill : Dans la foulée, il
y a eu l’écriture de j’arrive mais qui ne constituait
pas une thérapie.
Pourquoi avoir repris plusieurs fois ce spectacle
en le réécrivant ?
Saïda Churchill : Je crois beaucoup à
la mémoire collective qui évolue. Une chose qui a
été dite plusieurs fois même si tout le monde
n’est pas venu voir le spectacle est fixée, comme si
elle était sue d’avance. Une fois qu’elle est
marquée dans le temps il ne faut plus la dire. Il y a des
idées qui sont comprises à un moment donné,
qui sont dans l’air, qui ne sont plus dans l’actualité,
dans la pertinence. A force de l ‘avoir dit elles changent,
donc il faut changer avec.
Pour quelle raison cette reprise au Lucernaire
?
Saïda Churchill : Hasard. Suite à une
proposition.
Les critiques sont dithyrambiques et de tous les
horizons politiques. Le public suit-il également ?
Saïda Churchill : La presse écrite
me permet de constituer mon noyau de public. En province, je remplis
les salles. A Paris, c’est plus long mais cela dit je ne mets
pas non plus le paquet en termes de promotion pour forcer les choses.
Comme la presse parle du spectacle et de ma personnalité
dans son ensemble cela me consolide une espèce de noyau de
base de public. Une sorte de minimum garanti qui me suit sans faire
du rentre-dedans. Ça c’est bien car c’est durable.
Je crois que plus les choses se font progressivement plus elles
durent. Au fur et à mesure de ma carrière entre guillemets,
j’ai vu que ma petite case devenait réelle et puis
commençait à grandir même à Paris. C’est
parti pour longtemps.
Je ne sais même pas si j’y tiens. S’il
y avait une grande explosion médiatique cela m’emmerdrait
pas mal parce que d’abord mes journées seraient foutues
et j’y tiens. Les télés ne me demandent pas
donc je remplis pas à fond. Si elles me demandaient je serais
bien embêtée car je ne pourrais pas dire non et pourtant
j’aurais envie de dire non. Ma vie et mon spectacle ont besoin
de journées de rêveries, de contact avec la vie, la
réalité. Pour moi la télé ce n’est
pas la réalité. C’est rien.
Comment définir votre spectacle ?
Saïda Churchill : On dit souvent que c’est
inclassable. Ça me convient. Les gens savent à peu
près ce que c’est. Il n’y a pas besoin de le
classer. Je ne me reconnais pas dans le one-man-show. C’est
plus un truc d’humeur.
Quels sont vos projets ?
Saïda Churchill : Pour le moment c’est
ce spectacle qui va peut-être être prolongé en
septembre. Par ailleurs, toujours pour le Lucernaire j’ai
une idée de spectacle, un peu géo-politique mais drôle
quand même.
Vous serez seule en scène ?
Saïda Churchill : Oui.
Vous avez une formation littéraire et vous
aimez écrire. Avez-vous des projets d’écriture
littéraire ?
Saïda Churchill : Oui, mais pas tout de suite.
Je vais le faire et c’est dans ma tête depuis toujours.
Ecrire le roman du siècle. Mais je suis d’abord un
peu prise en ce moment. Et puis je n’ai pas envie de le faire
maintenant parce que lorsque je le ferais je m’y consacrerai
entièrement. Je m’enfermerai dans ma maison, loin de
tout, sans aucun désir de sociabilité, de vie autre
que celle du roman. Parce quand j’écris c’est
de cette façon là. Pour un spectacle c’est plus
court. Et puis je n’envisage pas d’écrire une
petite anecdote comme ça. Je veux que ce soit quelque chose
dans lequel je vais m’investir pour mon plus grand plaisir,
pour m’y perdre et pour cela il ne faut pas qu’on m’attende
ailleurs, ni mon mec, ni mon fils. Ce sera ma façon de vivre
cette grande solitude que chacun se doit connaître dans sa
vie.
Ce sera votre grand voyage personnel…
Saïda Churchill : Voilà. Le voyage
consenti du début à la fin dans la plus grande solitude.
J’adore. Mais à condition qu’il n’y ait
pas d’allers-retours avec la société. Personne
ne doit m’attendre nulle part.
Votre enfant vous attendra…
Saïda Churchill : Oui. Il sera là.
Mais il me connaît, il me connaîtra et sera préparé
à cette idée, cette connaissance de moi. Bien sûr
je le verrais comme d’autres personnes mais aussi. Mais il
faut que je puisse me promener dans la vie comme quand j’étais
à Marseille, sans connaître personne et que tous les
gens soient équivalents. Et du coup, tous sont des amis potentiels.
C’est très exigeant et très
ambitieux de vouloir être une sorte d’esprit qui capterait
tout ce qui se passe en étant totalement libre. Et les devoirs
et obligations envers ceux qui vous sont chers ?
Saïda Churchill : Oui. Mais il faudrait que
tout soit prévu avant pour me permettre cet isolement. Gide
faisait ça. Un superbe livre que L’immoraliste. Il
s’est marié sans savoir pourquoi et est parti en voyage
de noces en Italie, en Tunisie….
Intervention du spectateur
Saïda Churchill : …qu’est-ce
que je disais…ah oui Gide…Gide était très
riche mais en avait honte. Il voulait braconner mieux que le fils
de son gardien. Il avait le complexe du riche. Pendant ce voyage
sa femme est tombée malade et il était content parce
qu’il pouvait se promener seul. Et il regardait les petits
garçons. Il regardait un enfant en Sicile qui nageait. Ce
jeune garçon était très beau. Gide le regardait
nager et le garçon le savait. Un jour le garçon est
sorti de l’eau et Gide a vu qu’il avait une jambe anormale.
Le garçon lui a dit : "Je te plais moins maintenant".
Gide raconte cette histoire horrible.
En parlant de l’accent marseillais, vous disiez que vous
n’aviez pas l’humour facile. A quel genre d’humour
êtes-vous sensible ? Et y a-t-il un spectacle qui vous a plu
?
Saïda Churchill : J’aime bien le dernier
spectacle de Romain Misères intellectuelles. J’aime
bien aussi François Rollin mais je le trouve un peu dur ce
qui m’arrête un peu. Pas grand chose d’autre.
Il y a des choses qui me font beaucoup rire sur l’instant
mais qui sont très fugitives. Il ne m’en reste rien
après.
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