Comédie de Paul Claudel,
mise en jeu de Philippe Adrien, avec Dominique Gras, Pierre-Alain Chapuis, Eléonore Joncquez, Matthieu Marie et Marie Micla.
Pour ceux qui sont saturés des opus tragiques claudéliens faisant l'objet de multi-représentations annuelles ou, plus prosaïquement, allergiques aux grandes messes mystico-poétiques, voilà une singulière pépite avec laquelle Paul Claudel sévit dans le registre de la bouffonnerie.
En effet, il ré-écrit "Protée", le drame satyrique perdu de l'"Orestie" d'Eschyle, qui raconte la mésaventure survenue à Protée, le "vieillard de la mer", demi-dieu et roi des métamorphoses, au bon vieux temps de la guerre de Troie.
Sur sa petite île de Naxos, Protée, collectionneur obsessionnel et jaloux, détient notamment captifs et mis au régime de l'eau pure des satyres et une nymphe appartenant à la cour de Bacchus. Surnommée Brindosier, la jeune et jolie nymphe d'ascendance maternelle caprine, qui ne veut pas passer sa jeunesse à faire des papouilles à un gardien de phoques et à mener une vie "spartiate", quand bien même ces derniers appartiendraient-ils au dieu Poséidon, voudrait bien prendre le large.
Mais, dans cette coterie mythologique où tout le monde trompe tout le monde, seule la ruse peut l'y faire parvenir. Occasion lui est donnée avec l'opportun accostage suite à avarie nautique du roi Ménélas qui tente de ramener enfin au bercail sa femme, la fameuse Hélène. S'ensuit une farce comique basée sur une double mystification, celle de Ménélas, éternelle dupe, et, sur le mode de l'arroseur arrosé, celle de Protée avec comme "chèvre", et cela va de soi, la belle Hélène.
Avec la collaboration de l'imaginaire fécond de Elena Ant et Hanna Sjödin, pour les décor, accessoires, costumes et marionnettes, Philippe Adrien qui a - encore et toujours - plus d'un tour dans son sac à malices, signe la mise en scène d'un spectacle délicieux qui satisfait à la règle des trois F qui préside au succès de ce registre théâtral : la fraîcheur, la folie et la fantaisie.
Et puis, cerise sur le gâteau, un grand gâteau de mariage anglais en sucre blanc tel que l'a pensé l'auteur lui-même en décrivant le paysage insulaire, une distribution épatante. En casque à pointe, caleçon et porte chaussettes, Matthieu Marie incarne parfaitement le roi en débandade face à Marie Micla qui personnifie la belle Hélène qui ne compte pas pour une poire, caricature de la beautitude et de la vacuité.
Dominique Gras, en tenue new fetish revue façon grand guignol, campe hardiment le satyre-majordome de Protée, homme-sirène affublé de palmes, moitié en frac et moitié en pyjama babygro de velours rasé turquoise, auquel Pierre-Alain Chapuis apporte faconde et jovialité primesautières.
Enfin, the last but not the least, la deus ex machina de cette journée des dupes, Eléonore Joncquez, excellente, campe la ravissante nymphette à cornicules qui se démène comme un beau diable pour jouer la fille de l'air.
Bref, que du bonheur ! |