"Un peu d’eau fraîche et de verdure que vous prodigue la nature, il en faut vraiment peu pour être heureux", c’est le gros Baloo qui dit ça, l’ours grognon qui ne jure que par le jazz et la cueillette. Là où je veux en venir, c’est que la famille Durham veut la même chose : ce foutu jazz de la Nouvelle-Orléans qui file des frissons de plaisir et embobine le plus grincheux des schtroumpfs.
Même si la pochette fait initialement penser à une invitation à l’orgie de beuverie-fumette et de grignotage, l’air de famille de ces trois là est évident, et ce n’est pas ma spécialité. Kitty, Daisy et Lewis travaillent en famille et ça leur réussit plutôt pas mal pour Smoking in Heaven. Les préjugés les auraient classés dans le rayon Bollywood à paillettes, ils préfèrent la culture jupe-en-dessous-des-genoux, twist et brushing court impeccable. Bien leur en a pris.
Treize titres à vous donner des fourmis dans les pieds (attention à la table du salon, ça fait mal), comme remède à la morosité. Je ne saurai pas vous dire pourquoi mais cette association de batterie-basse, doucement assaisonnée de trompettique (ou autre instrument à soufflet inconnu de mon vocabulaire), de cordes sèches-pianistiques, et ces voix qui blues en même temps, ça me colle une banane en travers du visage pour un bon bout de temps. Et ça date de bien avant la culture Baloo-qui-ramasse-des-cactus (maman aime raconter l’histoire où je danse avant de marcher).
Pourtant, les thèmes sont plutôt tristes, des hommes et des femmes qui parlent d’abandon, de solitude, de manque, d’éloignement, d’amour déçu, d’espoirs déchus et de promesses de vengeance. Tiens, par exemple "I’m going back" (c’est Daisy la voix ici) avec le timbre qui se déchire, même si l’air est entrainant, tout en claquements de doigts et en cette espèce de guitare qui fait dzouing dzouing, c’est une promesse de retour là où tout s’est arrêté, et elle n’a pas l’air ravie.
"Paan Man Boogie", c’est le boogie woogie d’après les prières du soir avec un octopus au piano qui claque dix touches à la fois sur le clavier numéro 1, et un rythme à douze touches sur un deuxième clavier, rajouter une contrebasse qui fait chtong chgtong, et vous avez du rythme à tenir un siège, ça s’infiltre, ça dure et ça reste. "Messing with my life", façon Hotel California, tour en cordes et en batterie. "I’m coming home" (c’est Lewis ici), qui nous emmène casser des cailloux en pyjama rayé.
Je sais bien que je suis assez bon public, j’aime pas mal de choses, j’en apprécie quelques unes, mais j’en adore peu. Ces trois là, je les adore, ils ont la force de chanter la gravité sur des airs joyeux, et ce n’est pas donné à tout le monde, il est bien plus facile d’enfoncer le mal, plutôt que de cultiver patiemment le bien. Ils sont patients, talentueux, frais et plein de vie. J’adore. |