Dominique Sylvain signe, avec "Guerre sale", un très réussi et passionnant opus qui, même s'il est publié dans la collection Chemins Nocturnes des Editions Viviane Hamy consacrée au roman policier, procède à une hybridation - réussie - des genres achoppée sur une vraie intensité dramatique et émotionnelle qui lui donne une plus ample dimension.
En effet, réussissant une hardie quadrature du cercle, elle propose, sur fond de politique fiction en résonance avec l'actualité immédiate, les ventes d'armes dans le contexte de la nébuleuse Françafrique, un roman policier d'enquête relatif à l'assassinat particulièrement horrible d'un avocat d'affaires pas très orthodoxes, un roman classique d'intrigues romanesques parallèles avec des protagonistes qui ne sont ni des héros pathétiques, ni des loosers flamboyants, ni des figures manichéennes, mais des individus du quotidien dont la particularité, toutefois, est d'appartenir au même microcosme policier, et une tragédie passionnelle tissée sur le thème de la vengeance, quasiment à l'antique, qui puise dans les arcanes du passé.
L'imbrication, qui s'effectue de manière fluide, habile et cohérente, sans aucune artificialité, grâce notamment à une belle qualité d'écriture narrative, qui associe efficacité et vélocité, tout autant qu'au sens des dialogues, est particulièrement féconde et génère un style qui ressortit à celui de Léo Malet.
Et, petite cerise sur le gâteau, Dominique Sylvain parsème son récit de petites bulles épiques non dénuées d'humour qui, de surcroît, constituent de bienvenus sas de décompression dans une histoire sans happy end qui cause des dommages collatéraux en chaîne tous azimuts.
Car tous les personnages, de chair et de sang, morflent bougrement d'une manière ou d'une autre car remuer le passé a un prix et la vengeance est un plat toujours indigeste.
A commencer par l'assassiné qui s'est pris une sacrée insolation du carafon, la tête carbonisée dans un pneu enflammé, pour la seule raison d'avoir été le conseil - et le fils spirituel - d'un monsieur bons offices surnommé Mister Africa,
"un maillon fort de la Françafrique qui tutoyait les pontes du Quai d'Orsay et de la Défense".
Un mode opératoire pour le moins inhabituel, spécifiques aux tontons macoutes, et qui a connu un précédent hexagonal commis sur la personne d'un policier d'origine franco-congolaise. Voilà déjà bien des indices révélés dans ce prologue.
L'enquête est menée par la brigade criminelle qui dépend du divisionnaire Mars, fin politique qui, à quelques mois de la retraite, veut inscrire cette affaire à son palmarès, et qui est placée sous la direction du bel et ambitieux lieutenant Duguin qu'il a choisi pour dauphin en écartant la psychorigide capitaine Carle qui doit officier sous ses ordres, bon gré mal gré, avec le lieutenant Ménard, "un dandy frais émoulu de Sciences-Po" doublé d'un "jeune con ayant abusé des séries policières télévisés".
Et une enquête parallèle est menée par un duo féminin hors norme constitué
de deux personnages récurrents dans l'oeuvre de Dominique Sylvain. A savoir, Lola Jost, une ex-commissaire qui s'est inscrit elle même au rang des retraités suite à la mort de son lieutenant qui n'était autre que le franco-congolais sus-mentionné (tiens, tiens!), dodue walkyrie qui a de la bouteille et accro au porto qui s'est reconvertie en détective amateur ("c'est plus risqué que le scrabble et les puzzles mais plus efficace pour lutter contre la neurasthénie"), et une bombe américaine du nom de Ingrid Diesel, masseuse le jour et effeuilleuse la nuit, qui a été la petite amie du lieutenant Duguin (re tiens, tiens !).
Voilà de quoi vous allécher déjà suffisamment pour tenter de débrouiller le sac de noeuds savamment noués par l'auteure. Mais attention : une fois ouvert, impossible de refermer le livre sans connaître le dénouement. |