Carnet de bords de scènes #2 (1/2)
Frédéric court ! Qui l’eût cru ? Il est presque 23 h et il court dans les rues de Saint-Etienne, retrouver sa voiture puis le festival. Le concert va commencer et il court ! Alexis HK n’attendra pas. Il a déjà été en retard une fois aujourd’hui… Fred a loupé les trois premières chansons de Billie au Magic Mirror à 15h. Heureusement, il a su profiter et rattraper son retard : du caractère, des machines, une jolie voix et un salut de miss ont suffi à Fred pour passer un bon moment avec ces excitées. S’il a manqué le début de cet après-midi au Magic, il a failli aussi en louper la fin, peu convaincu par Camélia Jordana. Mais finalement le concert gagna en énergie en fin de set et Fred est resté. Mais s’il fût sensible aux qualités d’interprète de cette jeune et fragile demoiselle, il ne reçut pas grand-chose de la scène. La voix était chaude, la performance un peu trop froide. Mais qu’à cela ne tienne, Fred n’a pas été déçu. L’ambiance était bonne au Magic, il faisait chaud, le bar était opérationnel, et Thomas Pitiot, dans le public, chantait, encore, et encore, "Moi c’est camélia, mais…" ce qui faisait toujours marrer Fred... D’ailleurs, c’est un peu à cause de lui s’il a loupé le début du concert de l’après-midi. Dans les rues sombres de Saint-Étienne, au plus fort de son sprint, Frédéric décélère pour se remémorer la chronologie des faits et soulager ce point de coté infernal qui le plie en deux.
Vers 5h du matin, Loïc L. promit à Thomas P. et Stéphane de se lever pour assister à leur concert de midi. Aux alentours de 9h, Alexis se levait pour déjeuner puis se recoucha. A 9h15, Fred s’est réveillé l’esprit embrumé et la bouche pâteuse, bu un verre et se recoucha, l’esprit pâteux et la bouche embrumée. A 10h, les balances ont commencé pour Batlik & Thomas Pitiot, les équipes techniques étaient d’attaque depuis déjà une heure. Fred arriva sur le festival vers 11h45, traversa le village et se rendit directement à l’Ephémère. Il a commandé un coca médicinal de début de matinée et s’est installé. Le concert pouvait commencer. Batlik et Thomas Pitiot entrèrent en scène, Alexis HK était dans le public, quelques centaines de personnes aussi, Loïc Lantoine n’était pas là… et Fred était assis à gauche en entrant…
Fred courant dans la nuit, se demande pourquoi il revient sur tous les détails de sa matinée et si la course ne lui donnerait pas un peu de fièvre… Il ralentit le pas et replonge dans ses réflexions. Il avait déjà, lors des éditions précédentes, croisé la route de Batlik et celle de Thomas Pitiot, mais ce midi, l’événement était de les voir ensemble, défendre leur production commune, l’album – La place de l’Autre – sorti il y a quelques semaines. Pour Fred ce fut la claque du matin. Un concert complet, auquel il ne manquait rien. Du rire, des frissons ; on parla à nos cœurs, on parla à nos têtes. Ce ne fût pas tout à fait du Batlik, ce n’était déjà plus du Pitiot. On a retrouvé l’univers du premier, plus intérieur, plus poétique, mais aussi celui du second, plus ouvert sur le monde, plus polémique. Tout s’est mélangé : une rencontre à "Aubervilliers", "Un bal des pompiers", une petite craquette en bord de périph… une "Ramatoulaye" épinglée et une pensée pour ce grand-père tirailleur. Leur construction artistique repose sur une délirante complicité doublée d’une sensibilité partagée.
C’est une rencontre, les deux univers, les deux jeux de guitare, les deux voix réagissent, s’interpénètrent, se répondent. Altérité, mon amour ! Ces deux là ne sont pas complémentaires, Ils ne s’associent pas… c’est autre chose, c’est au-delà de tout ça… C’est de l’interculturel en musique ! Il y a une plus value dans cette création, une nouveauté née de la rencontre. C’est aussi pour le public une invitation, un prêté pour un rendu net et précis. Nos deux gars "ne jouent pas les starlettes, ne portent pas de lunettes de soleil, ne posent pas dans les magazines" – on nous la Ferrat pas – mais en toute simplicité sont parvenus à devenir ce qu’ils sont, ensemble, sans "Tentatives ratées", chapeau bas !
Fred se revoit sortir enthousiaste du concert et attendre longuement pour, comme de très nombreux spectateurs, acheter l’album La place de l’Autre et le faire dédicacer. C’est finalement à 14h30 qu’il a rejoint le centre du village Paroles et Musiques pour avaler une barquette de frites bio et un bol de nouilles au gras. Il aura manqué quelques chansons du concert suivant en prenant son temps avec Pitiot et Batlik, mais il savait que musicalement, sa journée était déjà réussie, quoi qu’il advienne…
A fond maintenant dans sa marche forcée de nuit, à quelques centaines de mètres de sa voiture, Fred se dit que ce premier concert de midi a largement orienté sa journée, l’entrainant vers des chemins de traverse pour poursuivre les découvertes et les bonnes surprises. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé en fin d’après-midi face à la scène du Conseil Général pour découvrir BATpointG. Voilà un petit gars à suivre ! Cet "Homme Akkordéon", à mi-chemin de la chanson réaliste et des musiques actuelles, malgré ses onze kilos d’instrument radiateur sur le dos, a envoyé une bonne dose de Chanson réaliste / Hip-hop / Electronique au public du village. Accompagné d’un batteur pour l’occasion et de Mell – tiens encore elle ! – sa prestation a ravi Frédéric et les festivaliers. Fred a même trouvé trop court cette rencontre de musette et de boites à rythmes… Assis en terrasse du bar du village avec deux acolytes, il négociait avec lui-même après ce concert. La journée lui semblait faite pour des moments incongrus, il pousserait le vice jusqu’au bout et quitterait pour la soirée le festival, pour découvrir le festival off dans les bars de la ville. Ce soir, il jouerait au festivalier clandestin et prendrait la direction du Lipopette Bar pour le concert solo de Mell – toujours elle ! Un sandwich, un bout de la soirée hilarante d’Entre 2 Caisses et de Chanson Plus Bifluorée, et il prenait la route en début de soirée, pour le Lipopette Bar !
23 h passées, perdu dans le fil de ses pensées, Fred manque de griller un rouge. Quatre points et une amende pourraient largement entamer son enthousiasme de fin de journée. D’autant que cette course nocturne lui coûte déjà une crampe au mollet et une lanière de tong éclatée dans la dernière ligne droite… Il doute que son pass festival puisse convaincre la maréchaussée de la légitimité de sa conduite un peu rapide. Il lève le pied, perd de nouveau sa tong cassée. Il se dit que vraiment il va être en retard. Mais il ne regrette pas, le concert de Mell au Lipopette valait le détour…
Il a "croisé sa grimasse au coin de la rue", une rue piétonne de Saint-Etienne. Elle roulait sa clope devant le bar après ses derniers réglages son. Puis Mell est parti avec Thomas le patron pour un Kébab en tête-à-tête… Quel salaud ce Thomas ! pensait Fred. Il se dit que peut-être Mell faisait cela pour le rendre jaloux… possible. Fred assuma cet affront avec tout le détachement de fan de la première heure dont il était capable.
A son retour, dans la plus grande simplicité, Mell s’est branchée, a allumé son ampli et démarré son show dans le bar plein à craquer… "Qu’est-ce qu’on rigole !". Elle a remué le public qui, petit à petit, décollait avec elle, à grand coup de butoir sur sa guitare. Mell, seule, déploie encore davantage toutes ses facettes, un peu fille, un peu punk, un peu Mano, un peu Janis, un peu Dalida – mais là Mell je ne suis quand même pas sûr – se dit Fred… Faut pas la laisser seule cette Mell, elle fait que des bêtises… She ate all the chocolate, son corps se tord, "ce corps mourant qui plane sur l’océan". Fred la suivit dans tous ses détours, du "5 rue Saint-François" au "2508 de l’Avenue Kennedy", la folie nous a guettés, frôlés de près !
Le bar s’est rempli jusqu’à se tendre à l’extrême, voilà un off qui a de la gueule ! L’énergie sauvage se propageait d’autant mieux. La guitare tenait bien la tension et Mell la pression – qui d’ailleurs était bien bonne dans ce rade, particulièrement cette pinte de brune, remarquait Fred, toujours fin observateur... Le problème des concerts réussis et bondés réside dans le fait que les spectateurs aiment faire durer le plaisir, bien au-delà de la fin, et qu’en tong, il n’est pas facile de se frayer un chemin vers la sortie… Et voilà comment on se retrouve, heureux mais essoufflé, à battre son record personnel de course en tong, à 23h dans les rues de Saint-Etienne !
Claquant la porte de sa Twingo garée à la va-vite sur le parking devant le Magic Mirror, Fred se dit que ces journées de culture buissonnière ont du bon, mais sont physiquement plus engageantes qu’une soirée Age tendre tête de bois !
Allez, arrête de penser Fred, et cours, Alexis HK ne t’a pas attendu ! |