Carnet de bords de scènes #3 (1/2)
Frédéric s’interroge… C’est quand même étrange… Partout où il se déplace, il semble qu’elle s’arrange toujours pour être là aussi. Pourtant, jamais elle ne lui adresse la parole… Timidité ? Peur aigüe de la déception ? Goût immoral pour la séduction lente et douloureuse ? Toujours est-il que Fred est sur ses gardes. Rappelons-nous… déjà pour la soirée anniversaire elle était là, pour BATpoinG idem, au concert off au Lipopette elle était là – et c’est un signe ! Ce matin encore, la voilà avec Louis Ville… Etrange n’est-ce pas ? Alors Fred comprend tout ! Mell le suit, le file, le traque !
Imaginez le choc ce matin. Fred arrive tranquillement à l’Ephémère. Il vante le concert de Têtes Raides de la veille aux amis festivaliers, qui avaient préféré profiter du Magic Mirror avec Miss White & The Drunken Piano, Quadricolor et Mademoiselle K. Il s’installe confortablement et attend l’arrivée de Louis Ville. Fred a beaucoup aimé son dernier album …Cinémas, sorti fin mars, c’est donc avec plaisir qu’il accueille la première chanson du talentueux artiste à la voix cassée, puissante, chaude et envoûtante.
Ne te retourne pas, continue Louis ! Seul à la guitare, les textes et la voix s’imposent. Tantôt murmures et mélancoliques mélodies, confessions de fin de soirée, tantôt cris déchirants à l’énergie blues-rock, le set se déroule de manière agréable et équilibré. Un bien beau moment musical. Une belle reprise de Léo Ferré pour souhaiter un bon anniversaire au festival – Quand on a vingt ans, décidemment ça se fête. Puis un hôtel pourri… Mell entre en scène pour accompagner Louis Ville sur ce morceau… Fred se crispe… Trop de coïncidences. Il reste sur ses gardes et s’enfuit dès la fin du spectacle. Il veille à soigner son itinéraire, se retournant souvent. Il prend des détours improbables, pour ne pas être suivi. Il passe par le marchand de glaces au bord de la dépression à cause de la météo et visite, l’air de rien, le stand de chemises en coton bio, se cachant derrière chaque mannequin…
Quand enfin il parvient au Magic Mirror, il est serein, certain de ne pas avoir été suivi. Il commande une pinte de bière blanche à la vieille serveuse décoiffée qui trône derrière le comptoir. Il prend le temps de sourire : la vieille vient de se prendre les pieds dans le seau de bière et d’en foutre partout… La vie est légère... Il s’installe sur une banquette du chapiteau.
Rapidement Lola Lafon arrive dans une ambiance planante d’accordéon. Fred apprécie beaucoup les ambiances rock-roumaines-aériennes de Lola. Un sourire béat aux lèvres, il plane, lorsque son regard se pose sur la guitariste… ELLE ! Mell accompagne Lola Lafon et ses musiciens. Comment a-t-elle su ? Frédéric est asphyxié… Il se cale au fond de la banquette et se questionne sur l’attitude à adopter… Ne rien faire ? Prendre le taureau par les cornes ? Il décide de rester ferme, la vie est parfois difficile. Il attendra la fin du concert et s’expliquera de cet inadmissible, mais gratifiant, harcèlement. Le concert continue, la voix de Lola est moins claire, légèrement rayée par cette toux de saison. Le concert est toutefois de qualité, mais moins éclatant que ce que Fred attendait. Quelques opus du premier album viennent néanmoins le booster jusqu’à l’entracte. De pied ferme il attend sa démoniaque guitariste qui, par sadisme ou fuite en avant, ne présente pas le bout de nez…
Madjo entre en scène. Fred l’a déjà vu l’an dernier et apprécie son timbre de voix, le groove des choristes, la finesse brute des arrangements. Mais comme l’an dernier au bout d’un petit moment le charme se rompt et il s’ennuie… Pourquoi ? C’est un mystère… Fred devra attendre les derniers morceaux, plus rock, plus dynamiques pour retrouver son intérêt, et un café au bar du village pour se réveiller pleinement. Et toujours pas de traces de Mell…
C’est au bar du village qu’il a retrouvé son vieil ami Henrik, vieux colosse nordique, bûcheron et viking dans une autre vie. Fred lui demande s’il sera, tout comme lui, au Zénith ce soir. Henrik lui répond : "Non, ce soir je serai à l’Ephémère, dès 20h pour une soirée rap/électro/hip-hop mais pas que, on va dire… Nous sommes plusieurs et tous prêts à accueillir toutes ces énergies, un beau mélange où les voix, les talents et du bon et gros son vont s'entrechoquer !". Ils se séparent et Fred avance en direction du Zénith pour la soirée Daphné/Fersen/Zaz.
Hier soir Fred a trouvé, avec Têtes Raides, son concert Zénith le plus réussi du festival, et bien voilà maintenant le plus loupé ! Perdue sur cette grande scène, pétrifiée dans ce format qui ne lui correspond pas, Daphné est passée à côté de son concert. Dans un parfait inintérêt, Fred a attendu que ça se passe, espérant revoir l’artiste dans de meilleurs conditions lors de futures éditions, au Magic Mirror ou à l’Ephémère.
Le décor change, les perspectives se modifient. Un bien long piano envahit la scène et perturbe nos lignes de fuite, jetant nos regards sur d’inquiétants trophées de chasse. L’ambiance est étrange, troublée par d’inavouables incantations. M. Thomas Fersen apparaît et entame dans la joie son funeste récital, doux-amer. Fersen jouit, il jouit, mon dieu c’est inouï ! Un concert de Fersen est toujours un moment incroyable… Le son est parfait, la moindre note, le moindre murmure arrive à point nommé à nos oreilles. Les musiciens tissent leur complicité, ces musiciens de toujours – Pierre Sangra, Christophe Cravero – à la batterie pour l’occasion – Alexandre Barcelona et une petite nouvelle que Fred ne connaît pas : Véronique Mafar. Le tout dégage une agréable sensation de plaisirs parfaits. La voix nous parvient et nous entoure pour nous parler de "Dracula", d’"enfant-sorcière", de chauve-souris, de "balafrés" et autres squelettes du train fantôme.
Ces étranges personnages quittent le Zénith et envahissent, sur les ondes, la France entière, le concert étant retransmis en direct sur France Inter. Bonne pioche dans cette brioche, pour les auditeurs de la radio nationale, l’émission est fourrée d’un concert sans faute. Petit poil dans la choucroute pour les spectateurs du Zénith, les contraintes radiophoniques imposent un rythme peu commun au concert et empêche les attendues divagations impayables du chanteur déjà peu loquace… Un peu frustré, Fred trouve qu’il a manqué la petite marge de liberté et le petit grain de folie qui font du grand Fersen. Et si l’auditeur est au Paradis, ici nous n’aurons malheureusement pas transformé la Zénith en Pavillon des fous…
Toujours un peu frustré Fred accueille Zaz avec peu d’entrain. Il est tard et qui peut passer après Fersen sans souffrir de la comparaison ? C’est un spectacle de qualité. Les musiciens sont très bons. C’est un peu jazzy, un peu sympa. Zaz est très belle et a la pêche. C’est un bon divertissement familial, et voilà... Au bout de trois chansons, Fred laisse les fans s’amuser, et quitte le Zénith pour essayer de retrouver son collègue Henrik aux alentours de l’Ephémère.
Autre lieu, autre ambiance. Henrik est hystérique : "Les hostilités ont commencé avec CraYon, aka CRAY Hash-Bong n'est autre qu'une escapade "solo" d'un stéphanois de Redbong. Il n'y a pas à dire ça envoi, CraY sait faire la part belle entre la qualité de sa performance, ses paroles et l'énergie déployée. A la fin de son set, Dj Nestor Kea est venu le rejoindre, rajoutant une pointe d'électro jazz hip hop à ce concert. Un dernier titre très visuel : "Majeur en l'air" (!!!) qui porte aussi le nom de l'album s’est joué en rappel".
Henrik a l’air content de sa soirée. Fred profite de cet enthousiasme pour se faire offrir une bière. Henrik poursuit : "Est venu ensuite Rocé, là aussi tout en puissance, j'ai plus de mal à décrire ce concert n'ayant pas une culture Rap suffisante, et j’ai trouvé justement que ce concert est parmi les trois de la soirée, celui qui fût le plus hermétique, fermé dans son style. A noté aussi le solo du Dj... Aussi insupportable qu'un solo de batteur lors d'un concert de bues… Tu vois ce que je veux dire ? Mais cette remarque n'engage que moi vu les applaudissements à la fin de cette démonstration…".
Fred acquiesce, et Henrik prend un air sérieux, presque solennel : "Puis est arrivée la perle rare : qui n'a pas vu Zone libre Vs Casey et B. James n'a pas pris de claque ! Un début, un milieu et une fin de concert époustouflant, même si Zone Libre vient en terrain conquis puisqu'ils ont déjà joué au Fil il y a 2 ans, et aussi Casey ici-même pour Paroles et Musique 2010.
Comment décrire Zone Libre ? C’est un mix, une alchimie parfaite entre les cinq membres de ce groupe : Cyril Bilbeaud à la batterie à devant lui Serge Teyssot-Gay (guitariste de Noir désir), Marc Sens (guitariste de Yann Tiersen), Casey et B. James (deux rappeurs du collectif Anfalsh) où tout ici marche par deux : Rock et Rap, Expérience et Jeunesse, Puissance et Plaisir...".
Les deux amis marchent en silence sous les étoiles, rejoignant le Magic pour le dernier concert de la soirée. Avant d’entrer, Henrik philosophe en conclusion : "C'est peut-être ça la recette secrète de Zone Libre ! Les deux guitares "rock noise" à souhait s'emmêlent parfaitement avec le verbe des deux rappeurs. Personne ne prend le devant de la scène, un concert unique, on en redemande !".
Fred qui aime la philosophie scandinave lui propose de poursuivre ses réflexions à l’intérieur autour d’une tournée, pendant le concert de Hangar qui commence.
Pourquoi ? Pourquoi sont-ils là ceux-là ? Parrainé par Mathieu Chedid… Ah bon ? Fred se demande ce qui est le plus pénible, un viking qui philosophe sur le jeu de guitare de Noir Désir période Tostaky ou des ados qui étalent leur envie d’amour sur une scène en fin de soirée ? La voisine trouve ça sympa… pour des jeunes précise-t-elle ! Il y a donc une catégorie jeune aujourd’hui… Si on est jeune, à niveau égal, on n’est moins mauvais qu’un vieux ? Et les très vieux ? Comment ça marche ? C’est un système bonus/ malus ? En vieillissant retrouve-t-on le bonus de ses 17 ans ? Passé 60 ans ? Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est bon, on est bon…
Fred, énervé, aurait supporté cette soirée dans un bar ou une scène locale, mais sur la scène du Magic, ça l’emmerde. M avait assez d’un baptême – exceptionnel – quel besoin avait-il de devenir parrain ?
Mais quel bougon ce Fred ! Ça sonne pourtant pas mal. Le son est bon, les solos sont dignes des plus grands… Certes la voix et les textes laissent un peu à désirer, mais franchement pour des jeunes c’est pas mal… Fred… non, ne pars pas… eh !... Bon ben, bonne nuit Fred… A demain… |