Comédie dramatique d'après l'oeuvre de Fernando Pessoa, mise en scène de Stanislas Grassian, avec Raphaël Almosni, Jacques Courtès, Florent Dorin, Mathilde Le Quellec et Stanislas Grassian.
Stanislas Grassian a remis sur le métier un spectacle consacré à l'écrivain et poète portugais Fernando Pessoa, initié dans le cadre de la 1ère édition du Festival Automne à tisser, qui s'intitule désormais "Mystère Pessoa, mort d'un hétéronyme".
L'oeuvre de Pessoa est atypique à plus d'un titre : conçue dans la solitude et la conviction profonde d'une mission incontournable d'incarnation de la littérature portugaise, de révélation posthume, elle a été conçue selon le processus de l'hétéronymie poussé à son extrême.
En effet, ses des doubles littéraires créés selon un mode schizoïde allaient au-delà du nom et de la signature. La construction mentale allait jusqu'à leur attribuer comme il l'indique lui-même, une apparence extérieure, un comportement, un caractère et une histoire, pour en faire de véritables individus "qui étaient pour lui (moi) aussi visibles et qui m'appartenaient autant que les choses nées de ce que nous appelons, parfois abusivement, la vie réelle".
Un processus proche du fragmentation de soi destiné sans doute à matérialiser une pensée surabondante, sur lequel Stanislas Grassian a choisi de se pencher en composant, à partir des écrits de Pessoa, une partition articulée autour de la naissance et de la mort de l'un de ses avatars essentiels, Alberto Caeiro, le poète voyant et unanimiste.
Dans un astucieux décor-valise de Géraldine Mandet, Stanislas Grassian cerne le territoire incertain de l’univers et l'imaginaire d'un homme atteint de schizophrénie existentielle et de la folie inhérente au génie dans un registre au maniement délicat sur une scène, et en l'espèce totalement réussi, celui de l'onirisme et de la fantasmagorie alors même que les personnages revêtent le réalisme que leur octroie leur créateur.
En costume étriqué, l'allure mimétique avec Pessoa, chapeau, moustache et petites lunettes, il incarne parfaitement cette variante du docteur Jekyll assailli par ses créatures pour évoquer ou invoquer la métaphysique de la création. Mais bien qu'ayant pris l'ascendant sur lui, celles-ci sont à la merci d'un possible arrêt de mort, tel celui qu'il vient de le signer pour Alberto Caeiro, et elles se rebiffent.
Raphaël Almosni et Jacques Courtès, comédiens aguerris, campent de manière savoureuse respectivement Ricardo Reis, l'épicurien et Alvaros de Campos, le désenchanté, face à Mathilde Le Quellec, bouleversante dans le rôle de l'amour impossible. Et, à leurs côtés, dans le rôle du poète lumineux, un jeune comédien, Florent Dorin, manifestement en état de grâce qui peut émouvoir avec un seul vers ("Passe l’oiseau, passe, et apprends moi à passer"). |