Tragédie d'après Shakespeare, mise en scène de Julien Kosellek, avec Stéphane Auvray-Nauroy, Fiona Emy, Tristan Gonzalez, Nicolas Grandi, Michèle Harfaut, Luc Martin, Sophie Mourousi et Franck Perruche.
Julien Kosellek, après "La nuit des rois", revient à Shakespeare avec "Roméo et Juliette" qu'il analyse non comme la tragédie d'un amour impossible, mais comme l'instrumentalisation cathartique par la machine sociale de deux jeunes gens pour en faire les victimes expiatoires de ses fantasmes transgressifs.
Bien que déclinée de manière élaguée dans "La très excellente et très pitoyable tragédie de Roméo et Juliette", il en conserve cependant tant la trame que les scènes majeures et la met en scène à la manière d'un cut-up en alternant ces dernières, montées de manière relativement classique même si Juliette, suspendue au dessus du balcon, semble faire de la varape et rejoint son Roméo en rappel, avec des scènes parodiques et des intermèdes débridés, le tout dans sur fond iconographique des sixties. Une alternance à laquelle la troupe aguerrie de la Compagnie Estrarre est désormais habituée et dans laquelle elle réussit de belles performances.
Affectionnés par Julien Kosellek, suppression du 4ème mur, éclatement du lieu scénique, sur scène, dans la salle, dans les loges et les coulisses à défaut de possible modulation multifrontale de la salle du Théâtre de l'Etoile du Nord, micro et vidéo désormais incontournables et gros plans caméra au poing à la Warlikowski sont également au rendez-vous.
Il tient le cap annoncé dans sa note d'intention et tous les personnages, dont la nourrice, peu maternelle en l'occurrence, de Juliette, une espèce de femme à barbe vêtue comme une chaisière et montée sur plate-formes de drag queen, interprétée sans retenue par Franck Perruche et l'ambigu père Laurent, le confesseur de Roméo, à qui Nicolas Grandi donne la mesure d'un inquiétant deus ex machina de ce drame, ont partie liée contre les amoureux.
Tristan Gonzales, au look de sage rocker échappé des Chaussettes Noires, est un Roméo plus que convaincant dans sa fragilité et, dans le rôle de Juliette, une adolescente molle vautrée sur un sombre grabat en écoutant une radio-cassette,que l'amour transfigure, Sophie Mourousi offre quelques beaux moments de grâce incarnée.
Fiona Emy étonnante en Mercutio, Luc Martin en Benvolio et le pathétique couple Capulet, lui, clone dépressif d'un Claude François roux qui aurait connu les principes de précaution en matière électrique sublimé par Stéphane Auvray-Nauroy et elle, jet setteuse hystérique en mini robe rouge qui se prend pour sa fille, bien acampée par Michèle Harfaut complètent une distribution percutante. |