La nuit avait été courte. Rentrés après le set des Birdy Nam Nam la veille, il fallait aller se sustenter avant de retourner sur le site de Beauregard. C'était donc l'occasion de faire un peu de tourisme. Direction Beuvron-en-Auge pour un plat de tripes à la mode de Caen en guise de petit déjeuner. La nourriture de festival étant traditionnellement à base de patates, frites, saucisses et autres sandwiches autant se faire plaisir avant la longue journée qui nous attendait.
En terrasse au soleil au restaurant, nous avons un peu laissé défiler les heures. Encore une fois, nous arrivons juste à temps pour assister à la fin du concert des Repeaters. Les quatre caennais font du rock garage estampillé 60's, de celui qu'on retrouve sur les excellentes compils Nuggets. L'orgue Hammond est mis en avant, les guitares saturent, la voix feule. Les deux chansons auxquelles nous assistons rappellent le son des Hives ou des Detroit Cobras. Une entrée en matière énergique pour ce samedi.
Jesus Christ Fashion Barbe, autre groupe local est composé de trois types dont, malgré leur nom, seulement deux portent la barbe. Leur style se situe entre le rock et la musique d'inspiration cajun. C'est enjoué, rapide, authentique et interprété sans frime. La batterie, en particulier, participe à leur donner ce son d'un rock des bayous, ce bon son voodoo avec les deux gros fûts sur lequel le batteur s'acharne. Ça fait penser aux Black Angels en plus pop. Le trio doit passer cet été aux Vieilles Charrues. Jesus Christ Fashion Barbe, malgré leur nom imprononçable, est une chouette découverte dont on entendra certainement de nouveau parler bientôt.
Direction les demi-finales nationales d'Air guitar animées par un présentateur dont la voix part bizarrement dans les aiguës, une voix comme celle du méchant dans Police Academy. La vice-championne de France ouvre la compétition, suivi du champion de Normandie qui se lance dans une air interprétation de "Gay bar" d'Electric 6. Il y a des costumes, des déguisements et beaucoup d'auto-dérision. Par exemple, à la question posée par le MC à la voix de larsen "Tu as fait beaucoup de démonstration dans des magasins de hifi ?", la championne de France répond "Oui. Beaucoup de dépressions aussi".
Entre deux concurrents, le présentateur donne sa définition de l'air guitar, "C'est comme la masturbation, ça ne sert à rien, mais ça fait du bien et tout le monde pratique" ou encore "L'air guitar est au rock'n'roll ce que le couteau est à la purée, c'est inutile mais indispensable". Pop The Fish, aperçu la veille sur la grande scène, participera également au concours. Mais nous abandonnons cette demi-finale pour nous diriger vers la scène où se produit la prochaine artiste.
Étonnamment, Agnes Obel est accueillie par un public qui scande son prénom. Elle démarre dans une formation piano/violoncelle, accompagnée d'Anna Muller. Les deux sont ensuite rejointes par une harpiste. Détendue, visiblement contente de l'accueil, Agnes Obel enchaîne les chansons, concentrée mais souriante. Le son est excellent. Elle livre une prestation tout en douceur devant un public attentif.
Vêtue de blanc, les cheveux maintenus en arrière par une tresse, Agnes Obel commence avec "Beast" puis "Let's go tonight" avant d'interpréter une nouvelle chanson au nom encore indéfini "We call it "New song" si far". La blondeur d'Agnes Obel sous le soleil, la présence diaphane de ses deux musiciennes à la harpe et au violoncelle tranchent avec l'ambiance du festival jusque là plutôt rock. Le public écoute religieusement "Riverside" et nous sommes nombreux à être traversés de frissons malgré la chaleur. Par son charme, sa présence mystique et ses chansons empreintes de spiritualité, Agnes Obel a retourné le public de Beauregard. Une ambiance étonnante en festival à un horaire de plein soleil.
Après ce pur moment d'émotion, il est temps de se précipiter vers la deuxième scène où Herman Düne va bientôt jouer en formation réduite, guitare/basse/batterie. Contents de revenir sur le festival, leur folk acoustique et électrique, sans fards, séduit le public. Il faut néanmoins un peu de temps avant de rentrer dans le concert. D'abord c'était un piège que de passer après Agnes Obel. Ensuite, le soleil couchant derrière la scène fait cligner les yeux, et la poussière crée un voile qui rend le plateau invisible pour les deux tiers des spectateurs. L'ambiance s'installe doucement. A à peine trente mètres de la scène, en plein milieu, une gamine de 4 ans joue et danse sur la musique. Trois jeunes types sont encore allongés au soleil entre la scène et la régie. On ne peut pas dire qu'on se bouscule vraiment.
Les Herman Düne interpréteront beaucoup de morceaux de The rock dont le titre éponyme. On reconnaîtra aussi des extraits de Giant, dont le très réussi "Your name, my game". En fin de concert, "I wish that I see you soon" dans une version sautillante ou le mélancolique "Ah hears strange moosic" entraîneront les fans à taper dans leurs mains. En conclusion, un concert agréable malgré des conditions pas forcément idéales pour le public.
Morcheeba joue sur du velours. Ils arrivent avec, dans leur besace, une flopée de tubes imparables et connus de tous.
La présence de la divine Skye, sa voix de velours, enchantent le public dès les premières notes. Les mélodies pop et trip-hop s’enchaînent tranquillement. Les musiciens assurent, aux guitares Ross Godfrey muscle les versions sans trop en faire.
Skye absente du groupe pendant une décennie n’est revenue que l’année dernière, c’est pourtant elle qui incarne ce groupe. Même alors qu’elle ne faisait plus partie de Morcheeba, la pochette du best of qui est sorti était illustrée par une photo d’elle et d’elle seule. Vêtue d’un collant moulant, de chaussures à talons (très) hauts, elle porte un haut rouge plissé dont la traîne flotte au vent. Enfin pas vraiment au vent puisqu'un énorme ventilateur en devant de scène la rafraîchit. On ne boudera pas notre plaisir de voir Skye sourire au public, sa peau dorée par le soleil couchant. Elle est simplement magnifique.
Quant aux chansons, que ce soit les anciennes telles que "Trigger hippie" ou les plus récentes extraites de Blood like lemonade sorti l'année dernière, toutes rencontrent un succès équivalent. On entend parfois le rire de Skye dans le micro. Ces musiciens prennent vraiment plaisir à jouer ensemble, et ce jour-là devant ce public-là. Ils concluent leur set par un "Rome wasn't built in a day" que la foule reprend en choeur. Ce concert fut l'un des plus beaux moments du festival.
On enchaîne avec les très attendus Cold War Kids. A peine les quatre américains sont-ils sur scène qu'une enceinte commence à cracher. Nathan Willet a abandonné sa coupe de surfeur pour une brosse très sage. La prestation est énergique, mais équilibrée entre des morceaux du premier album et des chansons du récent Mine is yours. Ils interprètent "Hang me up to dry", "Saint John" ou leur tube "Hospital bed". Les récents "Louder than ever" ou "Skip the charade" rencontrent néanmoins moins de succès. Et bien que "Bulldozer" soit interprété avec beaucoup de conviction, il semble manquer quelque chose. Leur prestation n'a pas convaincu et au final les festivaliers restent sur leur faim.
On continue dans la programmation pour jeunes avec Aaron et sa pop à midinettes. Je sais que je vais me faire des ennemis jusque dans les chroniqueurs de ce site, mais on est là en présence de ce qu'on pourrait appeler une escroquerie. Que fait donc ce groupe ici ? Il n'y a aucune originalité dans leurs compositions qui rappellent Coldplay en (encore) plus mou. Et encore moins dans les paroles où lorsque l'auteur a trouvé une phrase, il la répète en boucle dix fois de suite. Un groupe dans le succès repose uniquement sur le physique du chanteur pourra-t-il durer plus de cinq ans lorsque celui-ci prendra de la bedaine et commencera à perdre ses cheveux ?
Le show se décline avec énormément de lumières pour masquer le peu d'intérêt de la musique. Les musiciens assurent, très professionnels, voire requins de studio, mais froids. Collées aux barrières du premier rang, des gamines hystériques répondent à toutes les grosses ficelles, complètement usées, dont ne manque jamais de faire usage le chanteur : "je coupe le public en deux, puis je fais chanter d'abord à droite puis à gauche", ensuite on n'échappe pas à "d'abord les filles, puis les garçons". Enfin on a aussi droit au coup du "vous reprenez tous ensemble avec moi". "Lily" est certes un énorme succès, mais c'est vraiment la sinécure.
En ayant attiré les lycéennes acnéïques armées de leur appareil dentaire, le festival tirera certainement pécunièrement bénéfice de la présence de ce groupe. Par contre, la musique n'en sortira pas grandie. Mais après tout, tant mieux si cela permet un public peu aventureux de découvrir d'autres d'artistes plus confidentiels mais largement plus intéressants qu'Aaron. Aaron est exactement le type de groupe grâce auquel en festival on peut tranquillement aller faire pipi.
Mais que la pop des Concrete Knives est rafraîchissante après Aaron !
Le groupe bas-normand, récemment installé à Paris, donne dans la pop festive, fluorescente et acidulée.
Même si la coupe de cheveux, dans le style Mireille Mathieu, de Morgane au chant, n'est pas des plus sexy, son pantalon bleu lui sied à ravir.
L'ambiance devient très chaude, le public saute à l'unisson et tape dans ses mains. Les Concrete Knives visent du côté de CSS. Parfois on retrouve aussi du Tom Tom Club pour la rythmique. Le jeune groupe n'évite cependant pas quelques écueils, leurs chansons font alors un plat, évoquant plus les bambous de Philippe Lavil que les fêtes hédonistes de MGMT. Même si tout cela n'est pas abouti, leur pop est assez chatoyante pour qu'on ait envie de les suivre.
Vient alors le moment de voir ZZ Top. Ils sont impériaux, bluesy et livrent un grand numéro. Car, autant le dire, on n'est plus exactement dans la musique mais dans un numéro de magiciens. Les vieux papys roublards, Dusty à la barbe blanche, et Bill à la barbe rousse ont une technique et un savoir-faire sans faille. Le show est certainement tous les soirs le même, mais il est carrément jouissif.
Leur blues, que ce soit "Under pressure" ou "Cheap sunglasses", est assez traditionnel pour que tout le monde s'y retrouve, mais il est surtout habillé en véritable show de Las Vegas. Il y a les costumes, les lunettes de soleil, les chapeaux, mais aussi des têtes de mort et une batterie posée sur un as de pique géant. Derrière le trio texan, sur un écran, défilent les images d'une Amérique caricaturale avec les étoiles de shérif, les tiags, les longues routes, les jeunes skateurs...
Puis les voilà qui reprennent "Hey Joe" de Hendrix. A la fin du concert, on retrouve les ZZ Top qu'on a connu pendant les années 80, ceux qui chantaient "Legs" et "Gimme all your lovin". Les clips avec leur fameuse voiture Eliminator sont diffusés derrière eux, et pour l'occasion ils ressortent les guitares à moumoute. Mais c'est surtout lorsqu'ils entonnent "La grange" que le public exulte. Le morceau est un classique totalement imparable qui met tout le monde d'accord.
A la fin du concert, un album de photos est projeté qui résume leur carrière. On les voit ados, commençant à jouer ensemble alors qu'ils n'ont pas encore de poils au menton, jusqu'à devenir ce groupe à la limite du parodique mais franchement extraordinaire. Aucun doute qu'ils prennent encore plaisir à jouer. Quant au présentateur de la compétition d'air guitar, il avait raison : c'est fou le nombre de personnes qui pratiquent le air guitar lorsque les ZZ Top jouent.
Le show se termine, pour un public plus jeune Stromae rentre sur la petite scène. Le seul moment drôle sera lorsque pour annoncer son tube "Te quiero", il demandera au public comment on dit je t'aime en espagnol et que celui-ci lui répondra à l'unisson "ti amo".
Après le blues de ZZ Top qui vous attrape par les tripes, la musique de boîte de sous-préfecture de Stromae est une véritable punition. On décide alors de vite partir, et tant pis pour Do Brasilians auprès desquels on s'excuse. Mais franchement Stromae, même avec des boules Quies, ce n'était pas possible. La journée était longue, mais que de bons moments ! |