Le Dieu du Rock m’en est témoin, la Route du Rock est l’un de mes festivals préférés et j’y suis fidèle depuis plus de quinze ans, quelles que soient les conditions météos. Pourtant là, il ne faut pas charrier et il serait temps de se mettre un peu à la page de ce qui se fait en termes d’organisation sur le plan Européen. Certes, les EcoCup (gobelets en plastique consignés) ont fait leur entrée depuis quelques années et c’est un réel plus : le site reste nickel même aux heures les plus avancées de la nuit (de ce point de vue, les Espagnols sont un peu à la traîne…).
Mais le festival souffre toujours de ce principe pénible de sortie définitive, de l’interdiction (sauf erreur) des appareils photos (à l’heure des Smart Phones, c’est un comble). Et surtout, depuis deux ans, l’accès du public au site est inexplicablement retardé (et sans aucune information…), ce qui a pour conséquences des files d’attentes monstrueuses, un premier groupe jouant devant un parterre vide (bon on verra ici que les dommages sont limités !) et un public passablement énervé, quoique étonnamment patient.
Heureusement, cet état de fait sera corrigé dès le lendemain. Ceci étant dit, quelques nouveautés sur cette édition 2011 : des (mini) écrans géants ont fait leur apparition et encadrent la grande scène : je ne me permettrais pas de critiquer les investissements limités, quand on connaît les efforts de l’organisation et leur recherche effrénée de financements, mais ces écrans sont très petits, composés de pixels énormes rendant la qualité du rendu des prestations aléatoires. Cela reste quand même une aide appréciable en cas de forte affluence.
En plus des traditionnels six concerts par soir, une petite scène dite "de la Tour" a été judicieusement installée de manière à occuper l’attention du public avant le dernier concert et éviter les départs intempestifs. Sa programmation est majoritairement électronique et permet une transition entre le rock et les beats de clôture. Enfin, les stands des Labels ont été intelligemment déplacés du fond du site (près des toilettes, sic) pour rallier le côté droit de la scène, près de l’entrée. Il est temps de dresser un rapide bilan des trois soirs d’un festival éblouissant, décidément pas comme les autres.
La programmation de ce premier soir est divine ! Entre grosses pointures des 90s (Electrelane, Sebadoh, Mogwai, Aphex Twin) et nouvelles têtes qui ne demandent qu’à percer (Suuns, Anika), le duo Fleuret / Coutoux a encore fait des miracles et c’est sous un ciel clair et une température clémente que s’ouvre officiellement le festival.
Suite aux problèmes de filtrage du public précédemment évoqués, j’arrive en retard pour assister au spectacle lugubre d’Anika. La belle blonde semble en deuil, comme ses compères, tout de noir vêtus et doit sourire quand elle se casse un ongle ! Tête d’enterrement, ton guttural aux accents germaniques prononcés, présence glaciale : elle apparaît complètement tétanisée par l’enjeu. Un niveau rarement atteint ! On s’ennuie ferme et on regrette presque l’animation de la file d’attente.
Accompagnée par le groupe Beak (dont Geoff Barrow à la basse), elle expédie les titres de son premier album, dont pas mal de reprises (un "Yang Yang" downtempo de Yoko Ono, "Masters of War" de Dylan ou "I Go to Sleep" assez réussi des Kinks). Le timbre de voix qui fait toute l’originalité est assez monocorde sur la longueur, à tel point qu’on apprécie les interventions de sa choriste. Deux ou trois titres retiennent l’attention mais passé l’effet de surprise, on attend que ça se termine. Cela fleure bon le sponsoring car sans le nom de Geoff Barrow, on parlerait sans doute beaucoup moins de ce groupe.
Place à Sebadoh : je ne suis pas un gros connaisseur du groupe pourtant culte mais le trio mérite le titre du plus cool du monde ! Pas de stress mais des sourires, ils sont contents de se retrouver pour faire un bœuf ensemble et surtout ils n’ont pas vieilli d’un cheveu, arborant ce look d’éternels étudiants. Quelques approximations, quelques incidents (une bretelle de basse récalcitrante qui a du mal à jouer son rôle) mais le groupe poursuit son rock viscéral comme si de rien n’était. Lou Barlow et Jason Lowenstein s’échangent régulièrement basse et guitare, chacun avec son style propre : mélodique pour le premier, plus tendu et bruitiste pour le second. Un bien joli moment, salué comme il se doit par un public conquis.
Electrelane : ah j’attendais le retour des quatre (fantastiques) de Brighton avec impatience, tant leur dernier passage ici avait été un choc, une révélation. C’était lors de la tournée de No Shouts No Call. Ce soir, la setlist est beaucoup plus élargie, faisant la part belle aux albums moins immédiats, plus intimistes (Axes et The Power Out). Le groupe est aux anges (ça tombe bien, nous aussi !) et leur complicité fait plaisir à voir (et à entendre). Côté Modes et Travaux, Emma sourit comme jamais dans son classique polo Fred Perry, Ros à la basse est discrète mais communique régulièrement avec sa partenaire de section rythmique ; Verity s’est laissée pousser les cheveux cela lui va beaucoup mieux que sa coupe au carrée austère ; enfin, la troublante Mia Clarke est fidèle au poste, malmenant sa guitare comme d’habitude (même si la balance ne met pas vraiment son action en valeur, excepté sur les derniers titres).
On assiste à une lente montée en puissance (les premiers morceaux sont assez tranquilles : "Bells", "Two for Joy", "Eight Steps") qui finit par exploser avec une jolie reprise du "Small Town Boy" de Bronski Beat et du "Partisan" de Leonard Cohen dans sa version déstructurée. Le concert s’achève avec un "Long Dark" époustouflant : les belles Anglaises, émues, ont encore réussi leur coup et en sont fières ! On reste désormais suspendus à leur décision future de poursuivre ou pas l’aventure ensemble. Il faut dire que les quatre ont de multiples activités annexes et se partagent entre l’Angleterre et les Etats-Unis mais ce serait vraiment un joli gâchis d’en rester là. Quand on pense qu’elles sont désormais sans label… on croit rêver.
Les écossais de Mogwai relèvent le défi d’enchaîner après une telle démonstration de classe. Ils ont gagné en maturité depuis leur premier passage ici il y a dix ans. Le son s’est arrondi, ils ont (un peu) remisé la puissance pour se concentrer sur les mélodies et le groupe s’est également agrandi (ils sont maintenant six sur scène, dont parfois l’intervention d’un violon, c’est pour dire).
Lors de leur dernier passage, le lait des célèbres chèvres du fort avait dû tourner tellement le son vrillait les tympans. Ce soir, c’est plus souple, tout en retenue, à l’image du dernier album, plus sage. Les visuels ne sont pas en reste et s’accordent parfaitement avec les montées mélodiques. Même le guitariste Stuart Brainwaithe se laisse gagner par un sourire et virevolte sur lui-même. Eux aussi sont contents d’être là et c’est bien un des atouts de la Route du Rock, festival à taille humaine, d’arriver à fidéliser des artistes grâce à leur accueil chaleureux et à cette atmosphère si particulière. Le public d’ailleurs est bien présent ce soir ; certes on est loin de faire le plein, cela doit suffire pour parvenir à l’équilibre.
Petit coup de barre pour la prestation des Canadiens de Suuns que j’observe de loin. Déjà présents lors de l’édition d’Hiver et auteurs d’une prestation remarquée, ils ont donc les honneurs d’un second passage ce soir. Malgré quelques morceaux séduisants, je ne suis pas réellement convaincu par leur musique, gâchée en partie par un leader torturé qui se contorsionne douloureusement pour produire un chant crispé et crispant. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le groupe ne laisse pas indifférent : les réactions sont assez extrêmes dans le public, d’un côté on crie au génie, de l’autre au déjà entendu…
Je ne m’étends pas sur la prestation en demi-teinte d’Etienne Jaumet sur la petite scène de la Tour et préfère patienter en écoutant les discussions animées entre festivaliers un peu éméchés, toujours instructives : "Ils ont fait quoi les Rolling Stones, à part deux ou trois singles et un album ? Quand je pense qu’on les compare aux Beatles, c’est dingue !", sans parler d’une longue diatribe contre les chroniqueurs en général et ceux des Inrocks en particulier qui, lorsqu’ils ont casé les mots "tellurique" et "diaphane" pensent avoir réussi leur coup… (l’article de Libération post-festival parlant de "la force tellurique et ombrageuse de Battles" est donc à moitié réussi !) Imparable !
On nous a promis un spectacle exceptionnel ce soir avec l’icône Aphex Twin et c’est un pétard mouillé. Une installation électronique complexe qui mettra des plombes à être opérationnelle, un Richard D. James muet qui finit par arriver très discrètement (pour s’abriter derrière un mur imposant, masquant son activité réelle ou simulée, c’est l’éternelle question) et qui balance une musique à laquelle je reste personnellement hermétique : une électro sans variations ni finesse, peinant à faire remuer la foule. Des effets de morphing un peu dérangeants s’attaquent aux premiers rangs, avant qu’une nuée de lasers verts nous couvre de nappes impressionnantes et aveuglantes. Je tiens le coup une demi-heure avant de plier bagages. On a passé l’âge de souffrir sans plaisir ! En résumé, une première soirée magique qui lance le festival sur des bases qui seront difficiles à tenir pour la suite ! |