Le nom du personnage central du roman de Louis Hémon est choisi ironiquement : "Chape-de-laine". On imagine cette jeune fille recouverte d’un manteau de confort, lui donnant l’illusion qu’elle est protégée des dures conditions de vie de son milieu. Mais cette laine ne durera pas, abîmée par la nécessité. La lecture de ce roman est assez laborieuse : on avance en lui comme dans les paysages froids de ce Canada : lentement, péniblement.
L’avenir de Maria n’a aucune consistance : dès les premières pages, on sent la force de la fatalité qui condamne les pionniers à l’immobilisme, à la répétition des gestes selon les saisons d’un Québec désolé. La seule espérance pour elle eût été de vivre l’amour partagé avec le trappeur François Paradis (ce nom terriblement explicite). Mais ce coureur des bois, cet épris des grands espaces, ira s’engager trop en avant dans des chemins dangereux : il finira pétrifié dans une tempête de neige, ne laissant à Maria que la possibilité de finir une vie programmée par avance. Le pessimisme sur lequel se termine le roman (résignation de Maria à épouser un colon, agonie de sa mère, ennui insurmontable des journées répétitives) montre un univers froid, fermé sur lui-même, où ne résonne que le passage du pendule de Schopenhauer − celui qui oscille interminablement entre l’ennui et la souffrance.
La réussite de Maria Chapdelaine, si réussite il y a (je me permets d’en douter, au risque de m’opposer imprudemment aux critiques éminentes), tiendrait dans cette écriture métallique, neutre, distanciée, à l’image du décor où vit les Chapdelaine. Une fois cet ouvrage lu, on le rangera entre un vieux Maupassant et un improbable Zola, pour passer enfin à autre chose, pourvu qu’il y ait plus de mouvements, et surtout plus d’urgence – l’urgence-même du désir. J’ai une envie brusque de lire Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski : autant dire un roman aux antipodes de Maria Chapdelaine. |