La mode est aux histoires vraies, aux retracés de vies de méchants, qu’ils soient trafiquants, tueurs, braqueurs, preneurs d’otages ou bandits de grand chemin…J’ai nommé Carlos, Capone, Mesrine, et tous les ennemis publics célèbres. Le cinéma et les librairies ont un rayon consacré aux cauchemars des messieurs en képi et de leurs cousins en costard noir-cravate : les méchants, les vilains, les malhonnêtes, encore plus menteurs et voleurs que le Gouvernement et le Centre National des Impôts réunis.
Et c’est là que les méchants deviennent légitimes, que nous finissons par les trouver attachants, ces espèces de Robins des Bois cagoulés du millénaire de l’égoïsme (le nôtre !). Ils nous fascinent parce qu’ils font ce que nous rêvons occasionnellement de faire : (mis à part tuer son patron d’une balle entre les deux yeux) faire sauter la banque ! Avoir des sous rien que pour soi, exempts de toute taxe, exonérés de charges, sans virgule ni centime impossible à découper. Ils sont peu à avoir sauté le pas, Michel Lepage en est.
Banlieue Sud (écrit en prison) retrace sa vie de gangster de son premier vol d’écolier, à sa vie faite de fuites et de cachettes, de ses séjours au mitard, de ses potes de galère, de sa femme, de ses enfants, de sa fin, de ce livre. Il ne se définit pas plus comme un repenti ni comme un hors-la-loi (il a payé sa dette au cachot). Mais alors, pourquoi ce livre ? Non, mauvaise question : pourquoi prendre les gens pour des bécassous ? (moi ? recherché ? non ?) ?
Je m’explique, Michel Lepage dit "le Gros" avoue être un insatiable voleur (et oui, parce que les petites coupures ne font pas des bébés, il faut régulièrement ravitailler depuis la source), il décrit donc quelques braquages, crache sur ses anciens potes-Judas (des voleurs de voleurs au fond), dédicaces de belles pensées à ses meilleurs amis (moi aussi tiens, j’en profite, là, en plein milieu : bisous à mes z’amis), répète à sa femme qu’il l’aime, exprime la fierté d’être père.
Jusque là, un livre sur un homme qui raconte sa vie, ce n’est pas le premier… Mais comme de par hasard, cet homme là dont on parle ne sait pas du tout qu’il est recherché par la police. Ces derniers l’ont titré "chef de gang de la Banlieue sud", et Lepage ne comprend pas pourquoi. Je comprends bien que c’est un homme qui vit sans se retourner (mais en regardant toujours dans son rétro un éventuel gyrophare bleu-poulet), mais quand on prend l’initiative de braquer une réserve de monnaie, qu’on recrute des amis pour parfaire son forfait, c’est bien qu’on est le chef, non ?
Il ne voit ab-so-lu-ment pas pourquoi il est autant recherché (du moins, c’est l’impression qu’il donne), ou bien essaie-t-il de se rendre sympathique en minimisant les faits ? Il n’en avait pas besoin, le seul fait qu’il vole à la Spaggieri "sans arme ni haine ni violence" (ou presque, de toute manière, celui qui tire se fait virer) le rend tout de suite plus humain.
Et ce ne sont pas les seuls points flous de l’histoire, qui reste assez exceptionnelle (un gentil voleur), mais sent la folie commerciale à plein nez, le récit semble tronqué, bourré de flous et d’imprécisions. Au moins, quand je lis une fausse histoire de méchants, j’en sais un peu plus sur les conditions d’évasion ou sur les préparatifs de braquage, même sur la personnalité du méchant.
Initialement présenté comme un livre de gangster, le roman tend plutôt vers une hymne à l’amitié, une ode à la paternité et une sarabande à l’amour des siens. Comme quoi, il y a bien un petit cœur au fond de ce "Gros" méchant, mais qui en doutait ? Au fond, Lepage ne regrette rien, on ne lui en demande pas tant, mais on comprend le choix qu’il a fait de sa vie, l’argent facile pour 23 ans derrière les barreaux.
Conclusion : attendons quelques années pour que Lepage nous livre encore quelques secrets d’état (j’imagine que ses plans d’évasion sont classés secret-défense et que ses planques sont des secrets de polichinelle), et réécrivons cette histoire pas banale d’un homme qui n’a jamais connu le pôle emploi. |