Les dernières expositions monographiques en date des collections contemporaines de mode et textile du Musée des Arts Décoratifs étaient consacrées à des couturiers dont les créations sont circonscrites par le domaine premier de la mode.
Ainsi en était-il avec la démode au style rive gauche chic et glamour de Sonia Rykiel, la recherche de la beauté plastique de Madeleine Vionnet, le graphisme élégant de Valentino ou la fantaisie iconoclaste de Jean-Paul Gaultier.
Avec Hussein Chalayan, couturier britannique d'origine turco-chypriote, présenté comme "engagé dans une démarche expérimentale et conceptuelle", la mode et le vêtement constituent un médium et un matériau pour se raconter et dire le monde tel qu'il le perçoit.
Il crée des collections qui s'intègrent dans un projet plus ambitieux que d'habiller les femmes en initiant une réflexion sur le sens du vêtement et l'interprétation du monde.
Sous le commissariat de Pamela Golbin, conservatrice en chef au Musée des Arts Décoratifs, l'exposition rétrospective mais non exhaustive intitulée "Récits de mode", dont la direction artistique et la conception scénographique a été réalisé par le couturier lui-même, par ailleurs vidéaste, revêt donc fort logiquement le caractère d'une installation multimédia en rupture avec l'exposition classique.
La mode conceptuelle de Hussein Chalayan
Même si, en ouverture de cette exposition scénographiée par Zoé Smith, architecte-designer qui connaît bien son travail, il présente sa première collection commerciale "Par avion" inspirée des aérogrammes et composée de vêtements en papier synthétique insérées dans des lettres, le couturier a écarté le parcours strictement chronologique.
Utilisant les deux niveaux de l'espace muséal du Musée de la Mode, il y a substitué une lecture à deux niveaux.
Ainsi, il commence par les fondamentaux, les pièces de sa collection qui s'inscrivent dans sa démarche réflexive sur les barrières politiques, culturelles, religieuses, géographiques et techniques.
Au second étage, il aborde de manière focale les collections dans lesquelles sont déclinées ses thématiques récurrentes notamment celles liées à la dynamique et à la migration.
Car diplômé en 1993 de la célèbre Central St Martins College, Hussein Chalayan s'est démarqué dès ses premières collections - sa collection de sortie d'école intitulée "Buried dresses" était composée de robes qui avaient été enterrées dans un jardin pendant plusieurs mois - en pensant la mode comme un élément de création artistique porteuse de sens et de réflexion au regard des grands contemporains.
Par ailleurs, des films, des installations plasticiennes et multimédia qu'il a réalisés scandent l'exposition.
De cette exposition, accompagnée de sons et lumières qui en accentuent l'effet, se dégage une impression d'inquiétante étrangeté due en partie à l'atmosphère qui y règne et à la typologie des ou plutôt du mannequin dont le visage ne correspond pas au stéréotype commun ni du mannequin vivant ni du mannequin de vitrine.
Il s'agit du visage réaliste d'une femme qui n'est ni jeune ni belle, aux traits marqués, qui s'avère un visage d'autant plus dérangeant que, reproduit à l'identique il évoque le clonage humain ("Geotropics" 1999).
Son expression qui pourrait être entendue comme une impassible sérénité est contrebalancée par le morbidité des traits figés de gisants ramenés à un état de vie artificielle.
Et le ton est donné dès l'entrée, le visiteur étant accueilli par un des éléments de l'installation "I am sad Leyla", réalisée en 2010 pour la Lisson Gallery de Londres, une statue grandeur nature de la chanteuse turque Sertab Erener sur la tête de laquelle est projetée l'image en mouvement de son propre visage.
Cette immersion dans l'univers singulier du créateur permet de dégager les grandes lignes de force qui reviennent en leitmotiv dans ses collections.
Sans doute la plus prégnante celle de l'exploration des mythologies au sens large du terme qu'il s'agisse des légendes ("Nothing, interscape" 1996 sur les histoires bibliques) ou des mythologies modernes à la Barthes ("Mirage" 2010 sur l'Amerique) : le symbolisme et la supersitition ("Medea" 2002), les croyances cultuelles ("Between" 1998 reflexion sur l'identité avec le tchador, "Kinship journeys" 2003 sur les pratiques catholiques).
Autre source d'inspiration, les éléments avec les effets du soleil (la chaleur sur le tulle dans "Before minus now" 2000, l'attraction du soleil "Héliotropics" 2006).
L'air également avec une fascination récurrente pour la vitesse, l'aérodynamisme, le mouvement ("Echoform" 1999, "Temporal méditations" 2004", Airbone" 2007, "Inertia" 2009, "One hundred and eleven" et ses robes mécaniques).
Certaines collections échappent au classement sériel telles "Blindscape", création dessinée en aveugle, "Dolce far niente" ode aux années 50 ou "Earthbound" inspirée par l'urbanisme londonien.
L'exposition se clot avec ses collections récentes de 2011 intitulées "Sakoku" et "Kaikoku".
S'il est inspiré par les couleurs du kabuki, Hussein Chalayan ne renonce pas pour autant à ses explorations néo-futuristes avec la stupéfiante "floating dress" robe télécommandée en résine de polyester et fibre de verre peinte en doré.
Dans la démarche artistique de Hussein Chalayan qui n'est pas intuitivement perceptible, bien d'autres pistes sont à approfondir avec l'indispensable fascicule d'aide à la visite d'une exposition,elle aussi, hors norme. |