Charles Aznavour, en vieux briscard du show business, connaît la musique. En septembre 2011, dans la foulée, il sort un album, publie un livre autobiographique et revient sur la scène de l'Olympia où il n'a pas mis les pieds depuis plus de trente ans avant d'entamer une tournée nationale.
Un beau coffret-cadeau pour les fans du chanteur français le plus connu dans le monde qui est le dernier des grands noms de la chanson française des années 60.
Mais à 87 ans, qu'est-ce qui le fait courir, et chanter, lui qui a sillonné le monde, connu tous les succès, reçu moults honneurs et n'a plus rien à prouver ?
La réponse est peut-être dans ce livre autobiographique écrit de sa plume, "D'une porte l'autre", placé sous le signe de la métaphore de la porte,
qui ressortit davantage à la conversation à bâtons rompus pour celui qui a toujours été avare de confidences notamment aux médias.
En premier lieu, et il ne s'agit sans doute pas d'une boutade, il a la ferme intention de devenir centenaire, et même de vivre jusqu'à 120 ans, et vilipende vertement en perdant presque son sang froid scriptural ceux, les "courageux internautes, envieux et vicelards", "ces vipères, ces malades, vieux sataniques et jeunes défaitistes", les "crétins malfaisants en manque d'humour" qui ont faussement annoncé sa mort.
Il parle ainsi de son âge et de son physique sans fausse coquetterie et livre son secret : "le seul moyen de ne pas vivre ses vieux jours comme une ruine, c'est de s'occuper de soi" et pour ce faire, il a acquis de saines pratiques de vie qui lui ont fait renoncé à certains excès. Et surtout pas de chirurgie esthétique pour avoir "une face de canard laqué" même s'il avoue qu'il s'est fait raboter le nez et et "planté un peu d'herbe fraîche sur le haut du front".
Ensuite, son goût et son plaisir de l'écriture. En effet, il clame son amour des mots, les textes lui important plus que la musique car ils lui donnent "le sentiment d'être utile, de construire quelque chose, d'élaborer une oeuvre qui en vaut la peine". Il insiste sur son perfectionnisme ("ma chanson je veux la construire comme une Ferrari") et l'exigence envers soi-même. Son livre est d'ailleurs truffé de quatrains, stances et poèmes.
Justement côté chanson, en faiseur aguerri, il se montre sévère envers les auteurs et les chanteurs qui ne portent pas haut leur exigence et désenchanté
sur l'état de la chanson française en indiquant que la création est morte à quelques exceptions près, qu'il ne cite pas, du fait des publicités, du minutage systématique, du manque d'imagination des producteurs et de leur terreur de ne pas faire l'audience souhaitée.
Au passage, il indique qu'il trouve excellente en tant qu'émission de variété les Star Academy ou autre Nouvelle Star et prône les vertus de l'opérette avec "la saveur des années Mariano".
Par ailleurs, il aime la performance qui met l'artiste en danger : "
...au ciné ou à la télé on joue à crédit. Sur scène, il faut payer comptant". Self made man accompli, il n'a pas renoncé à poursuivre l'oeuvre entreprise en 70 ans de carrière : "Mon avenir à moi, il y a belle lurette qu'il a disparu à l'horizon. Ne me reste que le survivre. Continuer, tenir, le voilà, le projet."
A l'hiver de sa vie, il jette un oeil en arrière pour apprécier le chemin parcouru qui a mené, comme il l'écrit, de l'ombre à la lumière, le petit garçon ambitieux et fier, qui a quitté l'école après le certificat d'études, en haut de l'affiche ("C'est ma très forte curiosité qui a fait de moi ce que je suis devenu, sans compter ma formidable force de travail").
A l'heure du débat sur l'identité nationale, la diversité culturelle et l'intégration des minorités, il revient sur l'histoire de sa famille et de ses parents, arméniens apatrides et exilés, et énonce clairement : "être fier d'être français ne m'empêche pas d'arborer avec panache mes racines". Il considère que "la plupart des Arméniens ont été des citoyens exemplaires, sans scandale ni remous, droits dans leurs sandales" et milite activement pour la reconnaissance du génocide arménien perpétué en Turquie.
D'une écriture fluide et sans détours, il évoque longuement le temps qui passe, la mort, Dieu ("J'ai d'excellents rapports avec lui sans être pour autant abonné au bénitier. Nos relations ont lieu dans l'intimité, selon un rituel des plus simples : je ne fais rien pour l'offenser et lui me laisse mener ma vie à sa guise") et, s'il reste très discret sur sa vie privée, il revient sur sa domiciliation en Suisse en s'insurgeant contre les ragots ("Non seulement je n'ai jamais omis de payer mes impôts, mais je travaille avec la Sacem, mes éditions sont en France et mes musiciens français").
Enfin, un scoop : cet homme des villes né à Paris est devenu un homme de la terre qui se passionne pour sa petite plantation d'oliviers dans les Alpilles dont il commercialise une huile de qualité. Elle est pas belle la vie ? |