Avec la présentation des oeuvres de 12 artistes chinois majeurs de deux générations du début du 20ème siècle, le Musée Cernushi propose une exposition bienvenue pour combler une partie des lacunes abyssales du néophyte en matière d'art chinois.
En effet, pour le commun des mortels, l'art chinois est balisé de manière radicale : l'Empire de Chine avec la peinture chinoise traditionnelle, une peinture bucolique à l'encre sur sur rouleaux de papier, l'art de propagande de la République populaire de Chine et l'émergence de l'art chinois contemporain, due notamment au démarchage actif des galeristes et collectionneurs pour promouvoir sur le marché de l'art des artistes encore inconnus dont la cote n'était pas encore rédibitoire, qui s'analyse souvent en une déclinaison chinoise d'un art contemporain devenu international.
Intitulée "Artistes chinois à Paris", cette exposition est consacrée à la confrontation à l'art occidental des artistes qui, au début du 20ème siècle, au lendemain de la Première Guerre mondiale, venus à Paris, alors considérée comme la capitale mondiale de l'art, pour apprendre et travailler avant de repartir en Chine sont considérés comme les pionniers du renouveau artistique chinois.
1920-1958 : les artistes chinois, de la figuration à l'abstraction
Conçue sous le le commissariat du conservateur du patrimoine spécialiste des arts de la Chine, Éric Lefebvre, conservateur au Musée Cernuschi, elle se déroule selon un parcours qui relate ce qui fut une véritable confrontation avec l'art occidental et illustre la manière dont les artistes chinois ont procédé à une acculturation intelligente en procédant essentiellement par syncrétisme fructueux.
A l'exception de Zao Wou-ki et Chu Teh-Chun, nés en 1920, qui demeurèrent à Paris et prirent la voie de l'abstraction, ces artistes nés à la charnière du 19ème et du 20ème siècle sont retournés en Chine.
Mais tous ont intégré des pratiques culturelles diamétralement opposées à celles qui leur avaient été enseignées.
Car l'art chinois, art millénaire essentiellement pictural, était linéaire et monoplan, et réalisé avec les instruments traditionnels du peintre chinois que sont l'encre, le pinceau et le papier.
A Paris, à la suite de Liu Haisu, pionnier en la matière et fondateur à Shanghai en 1922 de la première école des beaux arts de Chine, ils découvrent un vaste champ d'exploration caractérisé par la diversité des langages formels, des techniques et des genres dont, entre autres, l'étude de la perspective, la peinture à l'huile et la pratique de la sculpture en tant qu'art majeur non inféodé à la peinture..
Structurée en sept sections, l'exposition illustre la démarche des artistes chinois qui, affrontant les ruptures techniques et esthétiques, ont également puisé dans un répertoire nouveau, en termes de source d'inspiration, pour poser les bases du renouveau artistique chinois.
Elle montre également la diversité des parti-pris esthétiques, du classicisme de Xu Beihong à l'avant-garde avec Yun Gee.
Ainsi, Pan Yuliang s'intéresse à la sculpture, comme Hua Tianyou dont est présentée une belle "Maternité", et se confronte à l'enseignement académique occidental du nu par la technique de la peinture à l'encre tout comme Sanyu et Pang Xunqin.
Fan Tchunpi et Chang Shuhong travaillent sur le réalisme dans le portrait avec le rendu du modelé des chairs.
Xu Beihong, qui fut le commissaire de l'importante exposition d’art chinois ancien et moderne qui s'est tenue au Musée du Jeu de paume en 1933, procède au renouvellement formel de sujets traditionnels dont le bestiaire avec les chevaux.
Et l'expressionnisme de Lin Fengmian peut être aussi chatoyant et léger par la ligne courbe et l'usage des couleurs quand il peint une "Belle dame" et des scènes d’opéra de Pékin inspirées de l'Histoire des Trois Royaumes que sombre et mystique quand il s'inspire des "Miserere" de Georges Rouault.
En contrepoint spatio-temporel, le Parc Monceau propose une exposition à ciel ouvert, "Seconde Nature, six créations contemporaines", qui présente les oeuvres de six sculpteurs chinois vivants actuellement à Paris.
Nés au début des années 50, ces sculpteurs et plasticiens de la diaspora pratiquent une sculpture "internationalisée" qui ne revêt plus de caractère distinctif au regard de la nationalité de leur auteur. Ainsi les "Fleurs extraordinaires" de Ru Xiaofan évoquent en version florale les "Grosse Geister" de l'allemand Thomas Schütte, les troncs d'arbre façonnés de Wang Keping ("Jeunesse", "Amour maternel") procèdent d'une fusion néo-primitivisme/land art et Ma Desheng, avec son être de pierre, s'inscrit dans l'héritage cubiste.
Pour "Crâne de la Terre" de Shen Yuan, météorite ou planète lunaire dont les infractuosites recèlent des buildings miniatures, le thème de la rocaille, récurrence des jardins et parcs conçus au 19ème siècle qui a son pendant dans les jardins des lettrés chinois, peut paraître évident.
En revanche, difficile pour le néophyte en civilisation chinoise et en histoire de l'art chinois de déceler dans le "Porte-avions en béton" de Huang Yongping, sis dans une benne métallique face au Musée Cernushi, l'évocation de la vogue du parc à thèmes en Chine et dans les poulets déplumés de Chan Kai-yuen qui se font la courte échelle ("Décrocher la lune") la version contemporaine des singes de la fable chinoise. |