Froggy’s Delight me propose d’écrire un article sur Radio Dio, qui fête cette année ses 30 ans. C’est un honneur, mais je ne sais pas comment m’y prendre. J’écris trois versions différentes de l’article, je finis par comprendre que je ne pourrai pas faire un papier objectif, ni exhaustif, ni même pertinent. Je ne peux qu’évoquer des fragments de souvenirs à partir de quelques personnes que j’y ai connues.
Au début des années 1990, j’ai un choc musical en écoutant Radio Dio. Captain Bob lit l’article des Inrockuptibles sur "L’Amérique en haillons" en passant Radar Bros, Swell, Palace et compagnie (j’en parle ici). A cette époque, lorsqu’on se branche sur Dio, on ne sait jamais sur quoi on va tomber : du krust bulgare, du raï, Ben Harper, du dub mixé avec des répliques des South Park ou un morceau indie à tomber par terre. Ou Crowded House (Bob aimait beaucoup, beaucoup Crowded House).
Je fais connaissance avec le petit local qui domine le centre-ville stéphanois (micros cheap, stickers par milliers dont un autocollant auquel je repense souvent – "FLTM, fais-le toi-même" – odeur de clope et de bière, va-et-vient incessants). Il m’arrive d’être invité dans une émission dont le présentateur sortira quelques années plus tard mon tout premier disque et le co-animateur est un garçon de 12-13 ans, un certain Flavien.
Je fréquente d’abord Brahim alias Captain Bob en tant que musicien, puis à partir de 2001 en tant qu’animateur, lorsque, de retour d’une année en Angleterre les bras chargés de CD-R de raretés, je décide de soumettre une émission qui s’appellera Le morceau caché.
Flavien tombe sur mon projet, et m’appelle pour me proposer qu’on devienne camarades de jeu. L’histoire commence en grande partie ici : passer des disques – les mélanger – jouer par-dessus – chanter par-dessus – créer des chansons sur, voire à partir de segments musicaux – faire ça sur scène – appeler ça Angil and the Hiddentracks (parce que Morceau caché) – finir par jouer de vrais instruments.
Pendant une période, une lectrice nous accompagne sur scène : elle lit des adaptations françaises de mes textes entre les chansons. C’est Pascale, qui deviendra Mme Captain Bob. On l’invite aussi régulièrement dans l’émission, pour lire du Laetitia Sadier, par exemple. Si on nous avait dit à l’époque qu’on tisserait un jour des liens d’amitiés avec cette dernière, on se serait marré, incrédules.
Le casquetté Christophe, dont on entend souvent la voix à l’antenne et que j’ai toujours volontiers imaginé "pote avec la Mano" s’en va, officiellement suite à des problèmes d’alcoolisme. Thierry, l’une des grandes figures de l’association (et de la vie musicale stéphanoise), quitte la présidence. La journaliste Christine est licenciée abusivement, comme le reconnaîtront les Prudhommes… Au début des années 2000, Dio, ça craint un peu.
On apprend que Bob est menacé à son tour : il aurait monnayé des interviews et des passages à l’antenne de certains groupes locaux. Sauf que je joue dans l’un d’eux, et que c’est faux.
Flavien, Gio (un autre membre du John Venture) et moi devenons membres du CA pour comprendre. Je vis quelques mois d’enfer, harcelé par le président de l’époque (il en reste une trace ici, à la relecture c’est un vrai thriller ; mais j’ai évacué tout ça dans les paroles de Angil was a Cat), dont on finira par saisir qu’il avait décidé de couler la radio, déjà endettée jusqu’au cou. On réussit à le pousser dehors avec ses sbires.
La radio dépose le bilan. Redressement judiciaire, vaches maigres, exemplarité des personnes qui s’engagent pour sauver la radio moribonde… Bob aura à peine le temps de voir la barre se redresser : il décède en 2008. Traumatisme pour tout le petit monde musical stéphanois.
En écrivant ça, j’ai le sentiment de parler à la fois d’histoires très singulières et privées, mais aussi de résumer en filigrane le parcours de n’importe quelle radio associative née au début des années 1980, voire de n’importe quelle association. Précarité, luttes absurdes, réconciliations, enfilage de mouches, alcool, premier degré, collectivité, problèmes de clés... Une résistance de trente ans à tout ça est magnifique, exceptionnelle, surréaliste.
Aujourd’hui, comme toujours, la radio repose sur la bonne volonté de quelques bénévoles et le courage des salariés, dont le journaliste Lionel et le programmateur musical Dimitry.
Nous avons collaboré maintes fois avec le Dimitry auteur (dans The John Venture, Jerri, The Definitions…), mais je n’évoque pas assez souvent ses qualités de programmateur. Pour moi, Dimitry est l’incarnation de ce qui rend une antenne comme Dio unique. La force d’une telle radio, son caractère intouchable, c’est qu’on peut la brancher au milieu de la journée et avoir un choc. Du genre de celui que je décrivais pour démarrer ce modeste, imparfait et tendancieux témoignage.
Une perle hip hop, Nina Nastasia, un Fela à tomber par terre, Programme. Des images-mouvement musicales, à longueur de journée. Les enchaînements de Dimitry, c’est la plus belle chose qui soit arrivée à cette ville. |