Samedi qui rit. Dimanche
qui pleure.
Sur la route qui me mène de Brest à Crozon, c'est
la grisaille mélée à cette petite pluie fine
qu'on croirait tout droit sortie d'un brumisateur, dont on dit qu'elle
est bonne pour la peau et qu'on appelle le crachin. Hier un soleil
de plomb digne du sud de l'Italie, aujourd'hui crachin et vent d'ouest.
Arrivé à Crozon, plus d'ambiguïté, il
pleut. Je sais bien qu'il en faudrait plus pour entamer la bonne
humeur des bénévoles et des festivaliers, pour preuve,
sur le site c'est le sourire qui prévaut, même si la
plaine se transforme peu à peu.
Jane B. qui passe ce soir va être comblée (ouh la
gadoue, la gadoue...) et Joan B. aurait dû rester aujourd'hui
la prairie de Landaoudec sous la pluie lui aurait sûrement
rappelé quelques bons souvenirs.
Bon,
l'important c'est de rester zen, comme le sont
Les moines tibétains qui se produisent en ce début
de journée sous le chapiteau du Cabaret.
Tambourins, trompettes tibétaines, costumes et chants traditionnels,
attraction de théatre populaire (dont un yak plus vrai que
nature) sont au programme. Belle idée, joli spectacle pour
tout ceux qui ont su garder leurs yeux d'enfant.
S'il y en a bien un que les considérations météorologiques
ne touchent pas le moins du monde, c'est bien lui. Tété
se pointe sur scène, l'air de rien, un clin d'oeil
à la foule et se promet de mettre un zeste de soleil dans
tout ça. Rencontré aux Charrues, j'avais été
étonné par la douceur et la candeur du personnage.
Il n'émane de Tété aucun soupçon de
violence.
Cool,
Tété a décidé définitivement
d'être cool. Tout l'album est une suite romantique teintée
funky, et lorsque le tubuesque "A la faveur de l'automne"
paraît, le gars met tranquillement le feu au Festival, comme
ça, l'air de pas y toucher. Tété, tel qu'en
lui-même, cool mais efficace.
Je le revois en début de soirée, il se promène
backstage, sans se départir un seul instant de son sourire,
son camescope numérique à la main, pour qu'aucun souvenir
ne lui échappe. C'est peut être ça, au fond,
une des clés de ce personnage attachant qui garde la candeur
de son regard d'enfant sur le monde qui l'entoure.
"Alors Magyd ? Tu vas nous mettre le feu ?" Magyd
Cherfi qui s'apprête à monter sur la scène
du Cabaret me regarde et éclate de rire. Il s'approche, me
tend la main, je l'empoigne et on est là à se marrer
comme deux gamins. Je lui parle du concert de Saint Brieuc, ArtRock
04 - encore un putain de festival tiens ! - où il avait littéralement
embrasé la place Poulain Corbion, il s'en souvient et quand
il parle du public il a cette indicible lueur de sincérité
qui s'allume au fond des yeux.
J'aime
beaucoup Magyd Cherfi. Je l'aimais déjà beaucoup du
temps de Zebda et maintenant qu'il suit sa route en solo, c'est
encore mieux. Sur scène, la complicité entre Magyd,
ses musiciens et le public fait plaisir à voir et à
vivre. Un concert de Magyd, c'est comme un petit bout de chemin
qu'on partage avec lui, un moment à la fois tendre et drôle.
Magyd nous parle de ce et de ceux qu'il aime, ses parents, ses
frères et soeurs, ses amis, et de ceux qu'il n'aime pas,
citant pêle mêle un de ses oncles qui est un vrai con
(sic) ou Laurent Gerra (...). Bien sûr les titres de "La
cité des étoiles" font partie du set mais aussi
d'anciens titres de Zebda, comme "Le pont du carroussel".
Retrouver Magyd Cherfi, c'est un vrai moment de bonheur.
Le seul bémol - à l'instar d'Ilene Barnes - c'est
qu'il n'aurait pas démérité de passer sur la
grande scène. En contrepartie, il est passé deux fois
sur la scène du Cabaret. Et puis passer sous un chapiteau
et un endroit pareil n'était sûrement pas pour lui
déplaire. En quittant la scène, il est repassé
me saluer. Magyd est définitivement un mec bien, doublé
d'un sacré showman : sur scène on savoure autant le
chanteur que le comédien.
Décidément, ce bonhomme sait tout faire. Magique
Cherfi !
Le concert de Jane Birkin va commencer
dans quelques instants et je repense à la définition
de la photographie par Cartier-Bresson. L'instant décisif.
Ne pas manquer l'instant décisif. J'ai un peu d'appréhension,
j'ai vu Jane à la conférence de presse, un poil plus
tendue que d'habitude.
Jane
Birkin est quelqu'un pour qui j'ai une infinie tendresse, pas seulement
parce qu'elle est la plus délicieuse de nos british's frenchies,
mais parce qu'elle incarne le talent et qu'elle sait tout faire,
la comédie, le théâtre, le cinéma, la
chanson.
Difficile aussi d'occulter la période de sa vie où
elle fut la muse et l'amour de Serge Gainsbourg, d'ailleurs le concert
ouvre sur le titre écrit et composé par Zazie "C'est
comme ça".
Et puis petit à petit, l'orchestre oriental qui l'accompagne
prend le la et donne toute la mesure de l'arabesque, arrangements
orientaux des titres de Gainsbourg, dont un sublime "Elisa".
Jane mêle tour à tour émotion et anecdotes rigolotes,
avec cette pointe d'accent qui n'appartient qu'à elle, lorsqu'elle
évoque la façon dont le public réagit selon
les pays à "Couleur Café", qu'elle parle
des choix de chansons avec Serge - il voulait des chansons avec
du "rythm" alors que moi je ne voulais que des chansons
lentes et alors Serge s'est énervé et m'a dit "Qu'est-ce
qu'on va s'faire chier !" - ou qu'elle introduit "La valse
de Mélodie Nelson" citée au Royaume Uni comme
l'une des plus belles chansons de tous les temps.
Jane est là, dans mon viseur, l'ombre de Gainsbourg - qui
était aussi un photographe émérite - semble
me murmurer à l'oreille : "Elle est pas dégueu
hein mon p'tit gars..." en se marrant doucement. C'est vrai
qu'elle est belle, Jane B. Clac ! Le moteur de l'EOS ronronne à
chaque prise. Sublime concert. Et quelques moments qu'il vous appartient
maintenant de juger s'ils vous semblent décisifs...
"Alors, ça gaze ou quoi ?" Encore un p'tit dernier,
pour la route. Quoi de plus normal que de terminer ce cinquième
Festival du Bout du Monde avec la prestation d'un chanteur du nouveau
Monde ?
Robert Charlebois c'est LE chanteur francophone
par excellence, lui par la grâce de qui la vague de chanteurs
québécois francophones et leur délicieux accent
à couper à la hache - lô po compris ? - ont
déferlé sur la France avec des titres aussi incontournables
que "Lindbergh" ou "les ailes d'un ange". Robert
joue sur du velours ce soir, il le sait bien le bougre. 1,2,3,4,5,6,7
? Québec ! Pas besoin de lui faire un dessin, au public du
bout du Monde qui connaît la partition sur le bout des doigts.
Emballé,
c'est pesé ! Robert qui veut d'l'amour plus que jamais, avec
une formation électrique nous rappelle aussi que le gros
son il maîtrise de main de maître depuis plus de trente
ans.
Il embarque avec lui le public et les étoiles du ciel de
la presqu'île, les mains se lèvent, trois p'tits tours
et sur le chemin qui me ramène à Brest je repense
aux rencontres, aux visages illuminés de sourires, aux bénévoles
qui peuvent être fiers de leur festival.
Un jour de soleil, un jour de pluie, des musiques d'Afrique, d'Orient,
du Tibet, d'Amérique, de Bretagne et de France, du Maghreb,
de Cuba, de Québec, des rires et des larmes, mais toujours
plein de bonheur, c'est un peu le mélange de tout cela le
Festival du Bout du Monde.
Merci et à l'année prochaine !
|