Si la journée du samedi marquait le retour de l'été, celle du dimanche fait craindre le pire : nuages et averses sont annoncés tout au long de la journée. C'est d'ailleurs une bonne ondée qui nous cueille en début d'après-midi. Les petits hauts et sandalettes de la veille ont été troqués contre le ciré et les bottes. Au final, les cumulus menaçants défileront toute la journée au-dessus de nos têtes sans qu'une goutte de pluie ne vienne gâcher la fête.
Début des hostilités avec la jeune chanteuse française Soko. Seule à la guitare électrique, elle entonne de sa voix cristalline des mélodies aussi douces que le jus de fruit bio avec lequel on fait le plein de vitamines. Emmitouflée dans un imperméable beige foncé, chapeau de Crocodile Dundee sur la tête, Soko apparaît un poil nerveuse mais déborde d'énergie. Parle plus vite que son ombre entre deux chansons. Bientôt rejointe par un guitariste, passant tantôt derrière la batterie tantôt à la basse et accompagnée d'une boîte à rythme, elle donne dans un folk lo-fi inventif et débridé. Sympathique mais pas transcendant, d'autant plus que la fille au clavier s'applique à chanter faux sur les choeurs.
Place à Piers Faccini. Le plus francophone des anglo-italiens, venu défendre son nouveau disque (My Wilderness, sortie fin septembre), entame seul son concert, voix a capella passée dans un sampleur. Ses deux musiciens viennent ensuite l'entourer. Plusieurs chansons du futur album sont jouées (dont le très bon single "Tribe"). La musique de Piers Faccini oscille en permanence entre canons folk et sonorités africaines, comme en atteste "Your Name No More", reconnue immédiatement par les festivaliers.
Après un blues longuet, le chanteur interprète une belle ballade du précédent album A Home Away From Home. Dans la foulée, on craint que "A Storm Is Gonna Come" ne devienne prophétique. Mais le chanteur nous rassure : "Je joue cette chanson parce que j'ai vu un coin de ciel bleu". Le timbre de voix et les vocalises du chanteur, par ailleurs excellent mélodiste, régalent nos conduits auditifs. On aurait aimé un concert un peu plus long (3/4 d'heure seulement) et une setlist plus complète, mais on s'en contentera.
Qui aurait parié sur une BB Blonde (Belle Belge Blonde) de 22 ans pour susciter tant d'enthousiasme avec un premier disque abouti oscillant entre raggamuffin, soul et folk ? Pas grand monde. Mais en quelques mois, Selah Sue s'est fait un nom. Son disque cartonne et la chanteuse convainc partout où elle passe. Même les non adeptes du genre tombent sous le charme. Aperçue quelques minutes cet été à Werchter, elle nous avait laissé une bonne impression. Confirmation attendue aujourd'hui au jardin de Bagatelle.
Premier élément de réponse : Selah Sue maîtrise la scène sur le bout des ongles. En véritable pile électrique, elle tient son public comme une frontgirl chevronnée. Module son chant à sa guise (débit ultra rapide et saccadé, douceur extrême, puissance vocale digne d'une chanteuse soul, tout y passe). Parcourt la scène crânement, sans s'économiser. La miss n'a pas froid aux yeux et fait corps avec sa musique. Chanson après chanson, elle fait preuve de talent, intensité, et musicalité ("This World", "Peace Of Mind Raggamuffin", le tube sur toutes les lèvres "Raggamuffin" et le bouquet final "Crazy Sufferin Style"). En harmonie avec le public, on kiffe la vibe. Tout serait parfait si d'autres n'avaient pas défriché le terrain auparavant (on pense à Patrice, Nneka voire Duffy).
On le sent, ça se voit : beaucoup de monde est venu voir Metronomy. Le quatuor Londonien, groupe hype du moment et candidat au titre de groupe de l'été, est sur toutes les lèvres. S'ils en sont arrivés là, c'est surtout parce qu'ils ont sorti au printemps un bien bel album (The English Riviera). Rien de révolutionnaire, mais une collection de chansons bien troussées voire emballantes. Alors, Metronomy ? Brillants rats de studio ou vrai groupe live capable de rallier les foules à leur cause ?
"We Broke Free", l'intro d'English Riviera, ouvre le set, suivie de "Love Underlined" qui secoue bien le public. Deux titres de Nights Out ("Back On The Motorway" où le groupe commet l'irréparable en plaçant un solo de sax, puis "Holiday"), le premier album, font retomber la pression. La sombre "She Wants" met en exergue les talents du bassiste, au jeu chaloupé et aux déhanchements stylés. Les nouvelles chansons ajoutent à la rythmique efficace du premier disque une conscience pop bienvenue. Metronomy semble s'être trouvé sur English Riviera.
"Heartbreaker", qui surnageait sur Nights Out, reste une de leurs toutes meilleures compositions et réveille le public. Pendant "The Bay", les anglais touchent du doigt quelque chose de rare : une électro-pop intelligente capable de remuer les foules. Ils n'atteindront ce niveau à aucun autre moment du concert. S'en suit une fin de set décevante : "You Could Easily Have Me", incartade rock limite punk, est certes énergique, mais d'autres le font mieux qu'eux. "Corinne" puis "A Thing For Me" ne soulèvent pas vraiment l'enthousiasme alors que "The Look", single efficace d'English Riviera, sonne bien plate en live.
Malgré les coeurs lumineux sur la poitrine et les bonnes chansons, Metronomy laisse un sentiment mitigé. Leur prestation souffre notamment d'un manque de puissance sonore et les versions des morceaux restent un peu trop sages. Metronomy en concert, c'est comme le Schweppes : sautillant et frais mais pas renversant.
Frais, on doute qu'il le soit, Peter Doherty, lorsqu'il pénètre sur scène sans prévenir. Occupé à échanger nos derniers tickets boissons contre une pinte de cervoise teutonne, on regarde le début de sa prestation de loin. L'anglais surprend tout le monde, roadies y compris, en empoignant sa guitare en avance sur l'horaire. Il ne la lâchera plus une heure durant. Ce concert confirme que le grand échalas britannique reste un cas à part : comment se fait-il que tout seul, à l'arrache, visiblement éméché et livrant des versions parfois approximatives de ses morceaux, il signe le meilleur concert du week-end ?
Libéré de prison quelques semaines auparavant (il avait dû annuler son passage à Solidays fin juin pour cette raison), Peter Doherty livre un récital pendant lequel il passe en revue ses meilleures compositions (période Libertines et Babyshambles y comprise). Dans une setlist où le chanteur semble naviguer à vue trônent quelques perles de Grace / Wastelands, son album solo dont on ne cesse de mesurer la qualité, deux ans après ("Arcady", les sublimes "Lady Don't Fall Backwards" et "Sheepskin Tearaway" - dont l'enchaînement sera le point culminant du set -, "Last Of The English Roses").
Les Libertines ne sont pas oubliés avec "Can't Stand Me Now" où Soko (dans le rôle de Carl Barât pour l'occasion) n'en revient pas de se retrouver sur scène avec Mr. Doherty, et "Music When The Lights Go Out". Mais ce sont les chansons des Babyshambles qui recueillent la majorité des suffrages : "Delivery", "You Talk", "Fuck Forever" et "Albion" (encore avec Soko à l'harmonica). Ultime pirouette : une reprise de "Twist & Shout", puis Peter Doherty tourne les talons, salue, et s'en va.
Ce soir, l'anglais était en mode Jukebox. Pas un grand concert, donc, mais une très bonne prestation où sa voix toujours aussi touchante et ses superbes compositions font la différence. Il est temps désormais pour lui d'écrire un nouvel album, en solo ou avec ses Babyshambles. Après deux ans sans nouveauté à se mettre sous la dent, on attend avec impatience la suite. |