Non elle ne chantera
pas à la Route du Rock; en vacances dans la région,
elle vient juste prendre l’apéro, comme ça en
passant . Mais pas seulement;elle vient aussi présenter son
prochain album, "Rue Saint Louis en
l'île" qui sortira en septembre.
Rencontrer Brigitte Fontaine relève
de l’inespéré surtout sur le site boueux du
fort Saint Père.
Nous attendons un bon moment; la reine des kékés
se ferait-elle désirer? Joue-t-elle les divas?
Quand elle arrive, body rose, jupon de tulle noir et blanc, baskets
hautes rouge et noir, elle fait sensation déjà de
loin. Et puis elle a changé de look : le crane rasé
s'est couvert de cheveux noirs avec de courtes doubles couettes
qui lui donne un air de manguette:
Elle n'a pas semble-t-il le visage des bons jours et nous saurons
ensuite qu'elle vient d’attendre plus d’une heure. Et
ce n’est pas fini car il lui faut encore regagner la tente
des interviews. Heureusement, Arezki Belkacem l’accompagne
avec une bouteille de champagne.
Dans le chemin escarpée la voir grimper est totalement
surréaliste. Et pourtant elle reste superbe et digne.
Cigarette et champagne, elle nous recommande même le cocktail
champagne-johnny walker, elle va répondre avec gentillesse
et malice, alliant franc-parler et diplomatie.
Vive la reine !
Brigitte
Fontaine : Excusez-le et excusez-les pour toutes ces atrocités.
Je vous souhaite le bonsoir.
Bonsoir Madame Fontaine.
Brigitte Fontaine : Je ne m’appelle pas Madame
Fontaine. Madame Fontaine c’est ma mère. Je m’appelle
Brigitte. Ou alors Brigitte Belkacem si on veut me donner un nom
de madame.
Je voudrais poser une question que tout le monde
se pose ici : Où sont les toilettes ?
A ce moment là, des voix s’élèvent derrière
la tente des interviews criant : C’est là !
Rire général
Brigitte Fontaine : Me voilà rassurée
Votre nouvel album comportera-t-il des collaborations
prestigieuses comme le précédent ?
Brigitte Fontaine : Est-ce vraiment capital ?
Cela peut donner une idée de la couleur
de l’album.
Brigitte Fontaine : J’ai la collaboration
permanente de Areski Belkacem et j’ai comme invités,
qui se sont invités ou que j’ai invités, Zebda,
Monsieur Hakim de Zebda que j’adore, Gotan project que j’adore
également, un pianiste concertiste classique merveilleux
Bavezet qui joue sur 3 morceaux, M Mathieu Chedid, Didier Malherbe.
Voilà, est-ce que cela suffira comme prestige ?
Votre nouvel album constituera-t-il le 2ème
opus de la Reine des Kékés ?
Brigitte Fontaine : Non, non, non ! Les Kékés
c’est éternel, mais le coup des Kékés
c’est terminé !
Ce sera quoi alors?
Brigitte Fontaine : Maintenant c’est rue
Saint Louis en l’île et Fréhel. Et la veuve Clicquot.
Les amours de la veuve Clicquot et de Johnnie Walker.
Ça donne un cocktail détonnant ?
Brigitte Fontaine : Oui, oui, il faut faire gaffe.
A quoi faut-il s’attendre en termes de tonalité
de l’album ?
Brigitte Fontaine : C’est très très
divers. Très chatoyant, très varié. Ça
va du rock déchaîné au rigolo ou au tragique
où des choses douces et un peu troubles poétiques,
de belles musiques très poétiques aussi.
Vous avez collaboré avec Archie Sep.
Brigitte Fontaine : Ce n’est pas moi qui
l’ai choisi et je n’y tiens pas particulièrement.
Et je n’aime pas le jazz. Sauf les grands, à l’époque
des grands, quand j’étais très petite moi, c’est-à-dire
Thelonious Monk, Miles Davis, Charlie Mingus, John Coltrane.
Vous avez collaboré avec Art Ensemble of Chicago...
Brigitte Fontaine : Mais pour moi ce n’était
pas du jazz, c’était de la musique.
Il y avait un univers graphique assez spécial
avec Kékéland.
Brigitte Fontaine : Je n’y suis pour rien.
Celui qui accompagne mon nouvel album est plus près de mon
cœur. Je n’aime pas Kékéland.
Qui l’a créé ?
Brigitte Fontaine : C’est Hervé Lecout,
Cabine.
Vous lui avez apporté des idées,
des suggestions ?
Brigitte Fontaine : Non, il est génial.
Il a tout fait lui même. La pochette est très belle.
Il y a la musique, les chansons, mais l’album
est également un bel objet
?
Brigitte Fontaine : Oui. Il y a aussi un dessin
super sur la rondelle, et puis des photos de Claude Gassian.
Vous reniez Kékéland ?
Brigitte Fontaine : Non. J’aimais beaucoup
Kékéland mais je n’aimais pas la pochette.
Pourquoi n’avez-vous pas travaillé à nouveau
avec Sonic Youth ?
Brigitte Fontaine : J’adore Sonic Youth.
Mais pourquoi répéter une autre fois ? Sonic Youth
a d’ailleurs mis dans son nouvel album des morceaux qui n’avaient
pas été retenus pour Kékéland.
Pourquoi ne pas faire un album avec eux ?
Brigitte Fontaine : Ah pourquoi pas ? Ce serait
envisageable. Et puis il y a Jim O' Rourke que j’apprécie
énormément.
Pour revenir à l’album Kékéland,
si vous n’aimiez pas la pochette pourquoi ne pas l’avoir
rééditer avec une autre pochette ?
Brigitte Fontaine : Je n’ai pas beaucoup
de pouvoir au sein de la maison Virgin. J’ai lutté
pendant des mois contre cette pochette. Et au bout de 2 mois tant
pis, je leur ai dit Bon Laissez-moi tranquille. Faites ce que vous
voulez. Et vous allez être verts quand vous verrez la pochette
de la Rue Saint Louis en l’île. Elle est belle, belle.
Il y a des diktats de la maison de disque ?
Brigitte Fontaine : Ils font ce qu’ils croient
devoir faire. Nous ne sommes pas toujours d’accord bien que
nous devrions l’être pour tout. Mais là ils m’ont
trop pris la tête et j’ai cédé, simplement.
Et pour cet album, cela s’est mieux passé
?
Brigitte Fontaine : Ah oui. C’est moi qui
ai trouvé l’artiste qui a fait la pochette et ils ont
accepté avec enthousiasme donc nous étions complètement
d’accord.
Vous avez de nouveaux invités sur cet album.
S’agit-il vraiment d’interpénétration
des univers ?
Brigitte Fontaine : Oui.
Quelle est la date de sortie de l’album
?
Brigitte Fontaine : Il devait sortir il y a un
an figurez-vous ! Bref ! Ils ont pris un an de retard et il sortira
paraît-il le 7 septembre. Le single avec une reprise du Nougat
très rigolo, très dansant, avec Hakim de Zebda est
déjà sorti. C’est formidable !
Bien que cet album date d’un an il reste
toujours d’actualité pour vous ?
Brigitte Fontaine : Ah oui ! Je le défendrai
complètement. Je le défends même dans la boue
(ndlr : allusion aux chemins boueux du festival), et la pluie et
l’orage, et l’attente. Vous aussi vous m’avez
attendue et je vous en remercie.
La tournée de promotion est prévue
pour cet album ?
Brigitte Fontaine : Oui, pour le mois d’octobre.
Et les tournées c’est très dur.
Les artistes qui ont apporté leur collaboration
seront-ils présents ?
Brigitte Fontaine : Je vais commencer la tournée
à Montauban et il y aura Zebda. Mais je ne peux pas emmener
tout le monde. M a sa tournée. Sauf à Paris qui est
toujours privilégié.
Les dates pour Paris sont déjà fixées
?
Brigitte Fontaine : Oui, mais je ne m’en
souviens plus. Fin octobre (ndlr : le 25 octobre lui souffle-t-on)
aux Folies Bergères. Le véritable passage parisien
se fera au début du printemps probablement à l’Opéra
Comique.
Vous avez beaucoup collaboré avec M.
Brigitte Fontaine : Oui. Il m’aime beaucoup,
je l’aime beaucoup, on s’aime beaucoup, voilà.
Il apparaît sur votre album. Allez-vous
en faire de même sur le sien ?
Brigitte Fontaine : Si jamais j’ai le temps
et s’il me le demande ce sera avec plaisir. Et j’aime
beaucoup sa musique et sa façon de jouer de la guitare. Ah
! Un monsieur qui lève la main !
Y a-t-il une relation entre les artistes qui figurent
sur votre album et votre maison de disque ?
Brigitte Fontaine : Ni Zebda, ni M ne sont chez
Virgin. Jusqu’à présent je n’avais eu
qu’à me louer de Virgin. Mais il y a eu beaucoup de
bouleversements comme dans la plupart des maisons de disques d’ailleurs.
Donc, je ne peux même pas leur en vouloir vraiment pour cette
année de retard. Quand à votre question : "Est-ce
que c’est la maison de disque qui m’impose ou qui me
suggère des choix ?", pour Kékéland, oui
ils m’ont suggéré des choses que j’ai
acceptées, c’est-à-dire Mathieu et Noir Désir.
C’était très magique parce que le jour même
où mon directeur artistique faisait cette proposition, eux
me téléphonaient pour me demander de travailler sur
leur disque. C’est ce qui est vraiment très beau. Et
les deux ont été fait.
Quelle musique écoutez-vous en ce moment
et aimez-vous ?
Brigitte Fontaine : J’adore, j’adore,
j’adore toujours, Mozart. Et puis ce que j’aime beaucoup,
mais là je suis à l’hôtel depuis un mois,
j’adore la bande originale du film In the mood for love. Et
l’autre disque More in the mood for love. Et j’ai un
gros faible pour Lili Bonniche. Vous connaissez Lili Bonniche ?
Non
Brigitte Fontaine : : C’est pas vrai ! Il
est génial. C’est un feuj algérien qui fait
de la musique un peu andalouse franco-arabe, qui est très
drôle, qui doit avoir plus de 70 ans maintenant et qui continue
à chanter. Il est génial.
Et dans les groupes actuels ?
Brigitte Fontaine : J’aime M. J’aime
beaucoup ce que faisait Zebda avant leur séparation provisoire.
Et le dernier album de Sonic Youth ?
Brigitte Fontaine : Je ne sais pas si je l’ai
écouté. Mais je les ai vus en
concert et j’ai été émerveillée,
surexcitée par leur musique.
Qu’est ce qui vous plaît dans leur
musique qui sur scène est du
bruit et de la fureur ?
Brigitte Fontaine : Du bruit et de la fureur oui
et en même temps quelque chose de très chaud, très
humain. Excitant.
Vous avez dit adorer Jim O' Rourke
Brigitte Fontaine : Oui. C’est un fou furieux
qui me fait penser au professeur Tournesol.
Pourquoi ne pas travailler avec lui ?
Brigitte Fontaine : Il me l’a proposé.
Dans un temps futur, je le referais avec beaucoup de joie mais pour
l’instant ce n’était pas le propos de ce disque.
Voilà.
Vous a-t-on imposé quelqu’un ?
Brigitte Fontaine : Non. J’ai choisi l’ingénieur
du son, le mixer. J’ai choisi tout le monde cette fois. De
toute façon même dans Kékéland j’avais
choisi après coup tout le monde. Les propositions de Virgin
étaient très bonnes donc j’y ai adhéré.
Il me semble qu’Arthur H devait remonter
"Maman j’ai peur "?
Brigitte Fontaine : Non, ce n’est pas Arthur
mais son frère Ken, l’autre fils de Jacques Higelin,
qui voulait depuis des années reprendre "Maman j’ai
peur". Mais il n’a toujours pas trouvé la fille,
c’est-à-dire moi à l’époque. Je
lui ai suggéré une fille qui est super mais qui doit
être très chère maintenant Ludivine Sagnier.
Quel est l’histoire de "Maman j’ai
peur" ?
Brigitte Fontaine : C’est une des premières
choses que j’ai faites dans ma vie, il y a longtemps. Jacques
Higelin est venue me le demander et nous l’avons fait avec
Rufus. Nous avons écrit à 3 et joué à
3 cette pièce sur des variations très burlesques sur
la peur. Et très kékés déjà.
Les kékés n’ont pas d’âge. Moi non
plus. D’ailleurs je vous serais reconnaissante de ne pas parler
d’âge. J’ai horreur de parler d’âge
car ceci fixe pour les gens qui croient savoir l’âge
que j’ai ou l’âge qu’ont les autres, mais
pour moi c’est pas vrai, peu importe…il est dommage
de fixer les gens dans un âge car cela fausse tout. Bon, bref,
toujours est-il que Ken Higelin n’a pas encore pu remonter"Maman
j’ai peur".
Vous avez vu mon petit bracelet ? Il est joli.
Je l’ai reçu ce matin par la poste.
Qui vous l’a donné ?
Brigitte Fontaine : Une jeune femme charmante qui
habitait près de l’hôtel m’a offert une
jupe superbe. Je lui ai donné mon disque et un petit cadeau
en plus. Et elle m’a envoyé un bracelet qu’elle
a fait elle-même. Et elle est professeur de littérature
au grand Duché du Luxembourg. Et le grand Duché du
Luxembourg est une partie très importante de ma mythologie.
J’avais écrit une pièce que nous avons joué,
Areski Belkacem et moi, et qui va être jouée le 31
août pour France Culture en direct et en public par d’autres
acteurs, dans lequel il est question sans arrêt du Grand Duché
du Luxembourg. Bon, voilà , c’était une digression.
Vous n’aimez pas que la musique, mais aussi
le théâtre. Vous aimez l’expression artistique...
Brigitte Fontaine : Oui, m’sieur. J’aime
les 2, les 3.
C’est quoi le 3ème ?
Brigitte Fontaine : Ce que je n’ai pas fait.
La danse.
Pourquoi ?
Brigitte Fontaine : On ne peut pas tout faire.
Je danse beaucoup sur scène, enfin je bouge beaucoup sur
scène.
De manière instinctive ?
Brigitte Fontaine : Oui. Je suis la musique, je
suis mon feeling, ma sensation, et voilà. Cela donne une
sorte de danse très personnelle que l’on ne peut pas
vraiment qualifier.
Des chorégraphes vous ont-ils proposé
de vous mettre en scène ?
Brigitte Fontaine : Non. Mais je veux bien. J’aime
beaucoup Lalala Human Step ? une troupe de danse québécoise,
Galotta…
Découflé ?
Brigitte Fontaine : Oui, oui, absolument.
Auriez vous envie de remonter sur scène
et de refaire du cinéma ?
Brigitte Fontaine : J’ai horreur du cinéma.
Mais le théâtre j’adore. Je devais le faire.
Si le disque était sorti plus tôt. Je devais jouer,
je le ferai peut être plus tard, une pièce, dans laquelle
je devais jouer le rôle de la grande Catherine de Russie,
écrite à partir de sa correspondance avec Voltaire
qui serait joué par Rufus.
C’est un projet concret ?
Brigitte Fontaine : Oui, mais il a été
retardé par la sortie tardive de l’album. Et puis Areski
Belkacem et moi nous voulons également reprendre la pièce,
qui va être jouée fin d’août, que nous
avons déjà beaucoup joué. Mais tout est suspendu
au disque ?
Et le royaume de Kékéland ?
Brigitte Fontaine : Il continue à vivre.
Vous avez le temps de vous occuper de vos sujets
?
Brigitte Fontaine : Ils s’occupent tous seuls.
Ne craignez-vous pas que ce soit le souk ?
Brigitte Fontaine : Mais
Kékéland c’est le souk. C’est l’anarchie.
Tout le monde est libre. La Reine des Kékés règne
mais ne gouverne pas. Je bois du thé, je fume des clopes,
je lis, j’écoute de la musique, j’ai des amis
qui viennent me voir.
Fais ce que voudras. C’est de Rabelais. C’est
l’emblème de l’école idéale où
allait Pantagruel. Et c’est le dernier mot d’un morceau
qui est sur mon album qui s’appelle Le voile à l’école.
Est kéké celui ou celle qui est né(e) kéké.
C’est quoi être kéké
?
Brigitte Fontaine : C’est être rigolo,
innocent, drôle, sincère, un peu déjanté
mais pas trop quand même.
Vous citiez Rabelais. Quels sont les auteurs qui
vous touchent ?
Brigitte Fontaine : Armance de Stendahl.
Vous chantez depuis pas mal de temps or il semble
que toute une génération vous a découvert avec
"Le nougat", et à cause de vos collaborations sur
l'album Kékéland.
Brigitte Fontaine : Je ne crois pas que ce soit
à cause de ces collaborations. Depuis Le nougat, il n’y
a que des jeunes, de 18 à 25 ans, qui viennent me voir.
Vous êtes dans la région par plaisir
?
Brigitte Fontaine : Je suis à Fréhel
. Je suis bretonne et très chauvine. Je suis dans un petit
hôtel. Je retrouve plein de sensations de mon enfance, des
odeurs quand j’étais petite.
Quelles sont vos occupations ?
Brigitte Fontaine : Je viens de finir d’écrire
un livre. Et puis je dois écrire des chansons pour Monsieur
Hakim de Zebda.
Vous vous reposez aussi ?
Brigitte Fontaine : Oui. Mais il y a des journalistes
qui me téléphonent et qui me viennent me voir. Je
travaille aussi. Voulez-vous que je vous fasse un petit baiser ?
Bisou à l’animateur.
Question indiscrète : pourquoi ne vous
rasez-vous plus la tête ?
Brigitte Fontaine : Parce que quelqu’un de
très compétent, un acupuncteur, m’a dit que
je devais absolument me laisser pousser les cheveux pour ma santé
nerveuse. Je laisse pousser mes cheveux pour laisser pousser ma
santé nerveuse ou mentale comme vous voudrez.
Souhaitez-vous ajouter quelque
chose ?
Brigitte Fontaine : Je vous embrasse. Et reconduisez-moi
tous à Fréhel. J’ai peur, j’ai peur.
Vous n’assisterez pas au festival ce soir
?
Brigitte Fontaine : Certainement pas.
Pourquoi ? Parce que vous n’aimez pas la
programmation ?
Brigitte Fontaine : Parce que je veux me protéger
un peu.
Je vais vous jouer une chanson de contrition :
C’est leur faute, c’est leur faute, c’est leur
très grande faute. Je vous embrasse tous et je vous remercie
d’avoir été aussi patient.
Tchao les zouzous !
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