Dédicacé à sa fille "une personne merveilleuse, symbole de la jeune journaliste américaine d'aujourd'hui, "Nuit de tonnerre" de Stephen Hunter, ancien journaliste critique de cinéma reconverti dans la littérature, raconte une nouvelle aventure de son héros récurrent, Bob Lee Swagger.
Celui-ci, à peine remis d'une équipée nippone ("Le 47ème samouraï"), est confronté à la pire des épreuves imposées à un père, celle du coma de sa fille victime d'une tentative de meurtre perpétré par Frère Richard, as du volant fan de gospels et "sinner man" illuminé.
Sa fille, journaliste d'investigation déterminée, qui ambitionne de travailler au Washington Post comme son papa de plume, fait ses gammes dans la rubrique des faits divers d'un journal du Tennessee et, enquêtant sur son sujet de prédilection qu'est le trafic de méthamphétamines qui gangrène l'Amérique rurale, a levé un lièvre dans un gros terrier, un camp de prière baptiste dirigé par le révérend Alton Grumley.
Derrière l'apparence bonhomme du "papy poulet frit", le colonel Harland Sanders fondateur de KFC, que lui donne sa moumoute, mâtiné de Jimmy Carter à cause de sa prothèse dentaire "ultra brite", se cache un des patrons du crime du Sud étasunien et le fer de lance d'une infâme dynastie polygame doublé d'un fornicateur obsessionnel dont l'abondante progéniture, tarée et violente, constitue la réserve inépuisable d'une troupe servile et indéfectible.
En touchant à la jeune femme déifiée par son père ("Elle était tout : la civilisation, la démocratie, l'honneur, le civisme, la loyauté, la beauté de la vie") et au demeurant rescapée miraculeuse car digne fille de ce dernier ("Elle avait hérité de son ADN, donc de réflexes aussi affûtés que ceux du tueur"), cette bande de malfaisants ne se doutait pas qu'elle allait avoir pour irréductible adversaire un homme d'exception dont la simple lecture du CV suffirait à liquéfier Terminator.
Car
le bien-nommé Bob Lee Swagger, s'il ne paie pas de mine - 63 ans, cheveux blancs et claudication due au coup de sabre d'un yakusa - est cependant une redoutable machine à tuer qui ne s'embarrasse ni des sentiments ni des lois et un justicier sans état d'âme à la méthode expéditive et radicale qui assume totalement de ne pas en appeler ni aux forces de l'ordre ni aux magistrats.
En effet, le double "héroïque" de Stephen Hunter, qui emprunte simultanément à des personnages de célébrissimes sagas filmiques (John Rambo, Dirty Harry et Paul Kersey), dresse lui-même ainsi son panygérique de manière éloquente : "Sergent d'artillerie des marines, 87 morts à mon actif, troisième tireur d'élite au Vietnam. Je me suis battu contre les unités meurtrières salvadoriennes et les hommes de main de Marisol Cubano, et un tireur rusé qui a fait la moitié du tour du monde. J'ai même gagné un ou deux combats au sabre, à mon époque. Et ils avaient tous quelque chose en commun : ils croyaient me chasser, alors que c'était moi le chasseur".
Ce nouvel épisode de ses exploits se déroule sur fond de course du Nascar à Bristol, le stock-car étant au Tennessee ce que le rodéo est au Texas, qui a constitué un euréka pour l'auteur ainsi décrit dans le chapitre "Remerciements" : "Ce roman, il est né à la seconde où j'ai vu le circuit de nuit, vibrant de fans, de frénésie, de bonheur. Je me suis dit : ce qu'il leur faudrait, c'est une bonne fusillade". Comme dirait l'humoriste Gustave Parking : "Je vous laisse réfléchir là-dessus".
S'ensuit une succession d'épisodes particulièrement violents sans économie d'hémoglobine jusqu'au dénouement d'une intrigue sans réel suspense puisque dévoilée dès la mise en situation des personnages.
Dans un style cinétique efficace mais dépourvu de matière littéraire, qui emprunte aux scénarios des films des années 50 dont il est féru et qui donne une matière prête à filmer (son premier roman "Point d'impact" a été adapté au cinéma en 2007 sous le titre "Shooter, tireur d'élite"), Stephen Hunter a concocté ce qui est moins qu'un thriller au sens courant du terme qu'un roman d'action.
Prenant la forme d'une chasse à l'homme, celui-ci est organisé autour d'une vision manichéenne du monde et de thématiques récurrentes, parfois pour le moins polémiques.
A savoir, le tueur psychopathe, les stéréotypes éculés de l'Amérique profonde qui ont la vie dure et sont réactivés avec l'émergence et la vogue du genre gothique sudiste (voir par exemple les romans de Karin Slaughter), l'exaltation de la figure du tueur ("Qui avait dit que les tireurs étaient des êtres insensibles et que les tueurs étaient tristes et solitaires ?") et l'apologie de l'autodéfense, Stephen Hunter, le bien-nommé, manifestant même un lyrisme stupéfiant quand il décrit des armes à feu pour lesquelles il ne fait pas mystère de sa passion pour le tir indiquant dans une interview "le plaisir sensuel et gratifiant en soi" qui en résultait.
Rassurez-vous : la fille de Bob Lee Swagger sortira de son coma indemne de toute séquelle.
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