Comédie en musique de Bertold Brecht, mise en scène de Laurent Fréchuret,
avec Philippe Baronnet, Elya Birman, Eric Borgen, Eléonore Briganti, Kate Combault, Xavier-Valéry Gauthier, Thierry Gibault, Harry Holtzman, Laëtitia Ithurbide, Sarah Laulan, Nine de Montal, Jorge Rodriguez, Vincent Schmitt et les musiciens Matthieu Adam, Pierre Cussac, Denis Debrières, Florent Guépin, Samuel Jean, Mathieu Martin, Jocelyn Mathevet, Mathieu Reinert, Frédéric Rouillon, Cédric Le Ru et Davy Sladek.
Puisant dans le Répertoire, après le théâtre élisabethain ("Le roi Lear" de Shakespeare) et la tragédie grecque ("Médée" d'Euripide), Laurent Fréchuret se penche sur le théâtre moderne et met en scène "L'Opéra de quat’sous", issu de la collaboration fructueuse de Bertold Brecht au livret et Kurt Weill pour la musique, érigée en partition majeure à laquelle tout metteur en scène aguerri ambitionne de se confronter.
Elle résulte de l'adaptation d'un "ballad opera" anglais du 18ème siècle, dans la trame duquel Brecht trouvait une résonance contemporaine avec l'Allemagne de la fin des années 20, une pièce satirique de John Gay et Johann Christoph Pepusch intitulée "L'Opéra du gueux" qui narrait une guerre des gangs entre Peachum, le patron exploiteur des mendiants et des éclopés, et Mackie-le-Surineur, le prince des voleurs et des prostituées, guerre déclenchée par le mariage secret de ce dernier avec Polly, la fille du premier.
Depuis, "L'Opera de quat'sous" est considéré comme le parangon de la dénonciation de l'anti-rousseaumisme et du capitalisme : la société pervertit l'essence de l'homme naturellement bon ("L'homme est un loup pour l'homme mais il oublie souvent qu'en fin de compte, il est un homme") et le principe du profit régit tous les rouages d'une société (bourgeois, bandits, même combat) comme s'il était atavique.
Laurent Fréchuret réussit parfaitement l'exercice par une mise en scène chorale qui inclut 23 comédiens, chanteurs et musiciens, ces derniers officiant sous la direction de Samuel Jean, sur un plateau nu, avec trois bouts de ficelle comme il le précise, qui se démarque ainsi des machines scénographiques des présentations récentes, celle de Robert Wilson au Théâtre de la Ville et celle de Laurent Pelly à la Comédie Française.
C'est dans un espace principal de jeu quasiment réduit à la fosse d'orchestre et l'étroite - et périlleuse - grille métallique qui l'enjambe, les musiciens étant positionnés sur scène coté jardin, puis côté cour, que vont se dérouler les différents tableaux à peine accessoirisés.
Laurent Fréchuret a opté pour un jeu très frontal en cohérence avec la fameuse distanciation brechtienne et une distribution mixte composée de chanteurs et de comédiens ce qui n'est pas sans entraîner quelques déconvenues certes mineures au regard de la bonne tenue de l'ensemble.
Ainsi, dans le rôle de l'épouse de Peachum, la comédienne Eléonore Briganti déçoit au chant, et dans le rôle de Polly, la soprano Laëtitia Ithurbide, qui ravit au chant notamment dans l'excellent duo de la jalousie avec la pétulante Sarah Laulan, vraie comédienne-chanteuse parfaite dans les deux registres, qui interprète la première épouse de Mackie, convainc moins pour la partie parlée. Et le spectateur regrettera sans doute la brièveté de la partition de Jenney-des-Lupanars et donc de la superbe prestation de Kate Combault.
Côté masculin, dans les rôles principaux, les deux comédiens, toux deux excellents, tirent parfaitement leur épingle pour le chant. Thierry Gibault, cheveux gominés et costume classieux, incarne brillamment Mackie le souteneur gentleman cambrioleur, face au truculent Vincent Schmitt, en beauf en marcel. |