Elle était traductrice de romans, puis elle a vite décidé d’en écrire, bonne idée. Theresa Révay a non seulement un nom qui prête aux jeux de mots "Thérèse a rêvé", mais elle est aussi capable d’emporter ses lecteurs dans les méandres de l’histoire. Elle écrit bien, elle vend bien, elle est traduite en plus de huit langues, que demander de mieux ?
Dernier été à Mayfair se situe en France et en Angleterre, commence juste avant la première boucherie mondiale, la fameuse 14-18, nos soldats ridicules en bleu et rouge, nos baïonnettes en carton face à la grosse Bertha, le sanglant chemin des Dames, les citoyens chair à canon et compagnie…
Et pourtant, elle commençait joliment cette histoire, à Mayfair, riche résidence de la prestigieuse famille Rotherfield. C’était le premier bal de Victoria, la petite dernière, sa première présentation au beau monde, point de départ de la recherche au prétendant idéal, de la musique, des fleurs, des jolies robes et des révérences. Le grand frère héritier Julian va récupérer la grande sœur rebelle Evangéline, qui s’est mise en tête d’intégrer une troupe de suffragettes violentes, et se retrouve en prison après une intervention musclée.
De son côté, le grand frère rebelle Edward compte remporter une course d’avion face au français Pierre du Forestel, c’étaient ces premiers coucous qui volaient autant grâce à la performance des techniciens qu’à la foi des pilotes, aujourd’hui, ce genre d’engin ne pourrait pas être inventé : pas de ceinture de sécurité, pas de parachute, pas de combi stérilisé, pas de repousseurs d’oiseaux migrateurs, pas de balises GPS, pas d’économies de carburants, pas de filtre environnemental… Qu’est-ce qu’on est devenu con alors avec nos désinfectants et nos PH neutres !
Dans cette société de gens nés avec une cuiller en argent dans la bouche, grandis dans des draps de soie, l’avenir ne s’annonce pas plus mal que pour leurs parents, des petites déceptions quotidiennes, des privilèges, des responsabilités politiques et des orgueils à défendre. Dans les quartiers ouvriers, la révolte commence à gronder. Juste après la révolution industrielle, le mot d’ordre est produire-produire-produire, les syndicats naissent pour améliorer les conditions de travail, les congés payés n’existent pas encore, et la sécurité sociale encore moins.
Mais le pire est à venir. Triple Alliance (Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie) contre Triple Entente (France, Angleterre, Russie) voient le jour, ça vous rappelle certainement un prof de collège ça, la mienne était très rousse et très frisée. Bref, un certain jour de 1914, un abruti assassine un archiduc serbe (pote Triple Entente), en visite dans un pays Triple-Alliance. Et là, c’est le drame. S’estimant bafoués, les Alliance foncent droit vers Entente, écrasant les neutres sur le passage, passant sur le corps et les maisons de tout ce qui se met en travers de leur chemin, avec leurs grosses mécaniques, ils arrivent sur le front français Nord (là, les cartes à colorier vous reviennent en tête, avec les flèches de front à dessiner).
Côté civils, nos ancêtres vigoureux se retrouvent affublés de fusils qui n’ont jamais eu de mise à jour depuis la révolution française, des uniformes piqués aux poulets et aux pompiers… La cata… Les gaz, les éclats, la boue, les rats… Tous ces fléaux déciment des bataillons de jeunes gens, remplacés en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire par des convois de chair fraiche, vidant les campagnes, ruinant le pays. Les "Admirables" beaux et riches ne sont pas épargnés, dans les tranchées ou dans les airs, ils se battent, contre des allemands qui se posent les mêmes questions qu’eux. Au lieu de conter fleurette et de batifoler dans les prés, cette génération a été carrément sacrifiée pour un lopin de terre qui aime la choucroute et les saucisses, par des chefs politiques rancuniers de la défaite de 1870, par des militaires bien planqués, par un pays qui viole l’art des batailles de gentlemen, par des préjugés, des idées reçues et des fiertés mal placées, un désastre.
D’une écriture fluide et simple, Theresa Révay livre un récit poignant de cette génération sacrifiée au prix de notre liberté. Elle réussit le difficile exercice de livrer de l’Histoire dans une histoire, nous ramenant à nous-mêmes, qu’aurions-nous fait ? Qu’avons-nous fait de la liberté qu’ils ont payé avec leur sang ? |