Fable poétique de John Millington Synge, mise en scène de Elisabeth Chailloux, avec Isabelle Cagnat, Valentine Carette, Etienne Coquereau, Jean-Charles Delaume, Thomas Durand, Serge Gaborieau, David Gouhier, François Lequesne, Catherine Mongodin, Lison Pennec et Cassandre Vittu de Kerraoul.
Dans "The playboy of the western world", John Millington Synge, poète et dramaturge irlandais, sublime les gens du peuple, ordinaires et frustres, qu'il fait s'exprimer dans l'anglo-irlandais du 19ème siècle qu'il a manifestement transcendé - ainsi qu'il résulte de la traduction de Françoise Morvan - en langage immanent sublimé.
Dans cette fable poétique inspirée par une histoire populaire des îles d'Aran, et à partir de la symbolique et de la phénoménologie de la maison, matrice originelle et représentation de soi et qui pour Synge représente également l'Irlande, sorte de radeau de la méduse soumis aux adversités du monde, il aborde conjointement l'identité culturelle irlandaise et le voyage initiatique du poète à partir de la force, et le pouvoir, de la parole pour sauver l'homme, dont la grandeur et la dignité lui sont consubstantielles quel que soit son état, face à sa condition humaine et au malheur existentiel.
Une nuit, un vagabond épuisé entre dans une petite auberge. Jeune homme fuyant son comté, les belles terres du Kerry où il a tué son père, pour se réfugier dans la lande sauvage et maléfique du Connemara et du Mayo, et brillant prosateur qui subjugue son auditoire, la narration de son aventure en fait une figure héroïque qui bouleverse la vie du village.
Pour la version française de cette fable poétique intitulée "Le baladin du monde occidental", dans le sobre décor au réalisme épuré de Yves Collet, une salle sommaire avec son feu de tourbe et sa pompe à bière, avec une mise en scène qui ne repose pas sur une approche pittoresque à la John Ford, Elisabeth Chailloux réussit parfaitement, grâce au jeu homogène de comédiens investis et judicieusement distribués, l'étrange symbiose entre la fresque rurale et le conte poétique pour permettre une immersion dans l'imaginaire de l'auteur.
Isabelle Cagnat, Lison Pennec et Valentine Carrette au beau potentiel (vue récemment dans des registres différents (au Studio Casanova dans "La belle au bois" et au Théâtre de la Colline dans "Les vagues" d'après Virginia Woolf) campent hardiment le trio des filles délurées du village auquel répond en symétrie le truculent trio masculin constitué de l'aubergiste et de ses acolytes fermiers qui courent les veillées funèbres largement arrosées (François Lequesne, Etienne Coquereau et Jean-Charles Delaume).
Même registre pour Serge Gaborieau, dans le rôle du père ressuscité, et Catherine Mongodin, dans le rôle de la veuve qui tire les ficelles et David Gouhier, en fiancé éconduit, sont remarquablement efficaces de sobriété dramatique.
Enfin, face à Thomas Dubois parfait, entre prince charmant et héros romantique, en beau parleur qui a parfois la tête dans les étoiles, Cassandre Vittu de Kerraoul incarne de manière convaincnate la fille cabaretière que l'auteur érige en fille de roi à la personnalité aussi farouche et déterminée que naïve.
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