Les salles de concert c'est bien, mais qu'y a-t-il de plus relaxant que d'aller voir un concert dans un théatre ? Etre assis et placé a parfois du bon, même quand il s'agit d'aller à la rencontre de l'égérie du punk US (tout en espérant que la situation tourne au vinaigre, comme à un concert de Sid Vicious à l'Olympia).
En Août 1974, Patti Smith est en effet la première de la vague punk (qui peut être qualifiée d' "intellectuel" dans le cas de New-York, car bien plus torturée et poétique, à part Les Ramones qui avait le mérite d'être de vrais crétins bourrés et qui furent à eux seul un cas d'école) à sortir un 45 tours auto-produit et qui donnera 10 mois plus tard le fameux Horses, disque historique et indispensable produit par John Cale.
Car Patti avait avec elle un groupe préhistorique et sauvage que seul le co-fondateur du Velvet Underground et producteur du premier effort des Stooges était capable de poser sur bande.
Parlons-en du groupe d'ailleurs car ce soir Patti Smith ne joue pas seule (et ne touchera que par deux fois à sa guitare) et reste épaulée, comme depuis toujours, par le fidèle guitariste Lenny Kaye (qui quand même, précisons-le, est le mec responsable de la mythique compilation Nuggets, pyramide du garage), d'un second guitariste et d'un bassiste, de sa fille au piano, et enfin d'un batteur.
Le groupe arrive sur scène et nous assistons donc à la première date de la tournée, qui est uniquement française. Plus tôt dans l'après-midi, j'assistais à une lecture par Patti Smith de son propre bouquin. Car cette tournée est avant tout organisée autour de celui-ci et non du énième best of sorti il y a un mois. Ce sera alors l'occasion au petit reporter de demander pourquoi cette tournée se déroule exclusivement de par chez nous. La réponse allait de soit et Patti prétend être fort sensible à ce qui touche à la France, nous confiant que lorsqu'elle avait 20 ans, elle tenait une liste des endroits où elle rêvait d'aller et que Paris était la destination numéro un.
Car l'ensemble des productions françaises la fascinait, notamment la peinture, l'architecture et le cinéma (celui de la nouvelle vague ; d'ailleurs, il est possible de l'apercevoir accompagnée de Lenny Kaye dans le dernier film de Jean-Luc Godard, Film Socialisme). Elle avoua aussi que le public français avait toujours été l'un des plus fidèles. Rappelons alors qu'à l'époque le mouvement punk débarqua en France grâce à des musiciens comme Patrick Eudeline (Asphalte Jungle), Vincent Palmer (Bijou), ou encore Jacno (Stinky Toys), mais surtout un certain Marc Zermatti, qui monta en 1976 le premier festival de punk national à Mont-de-Marsan et qui était derrière l'organisation de ce mythique concert de 77 à l'Elysée Montmartre où Bijou était programmé en première partie de Patti Smith, donnant alors au groupe une vraie popularité et lançant définitivement l'aventure punk dans nos contrées.
Le public de ce soir est assez âgé et surtout féminin, ce qui de par l'engagement féministe de Patti Smith n'est pas étonnant et fut parfois agaçant, au même titre que de long discours spirituel sur le Christ et la sainteté, lassant à la longue. Néanmoins malgré une courte setlist, les morceaux étaient aussi bien choisis qu'interprétés, malgré quelques fausses notes qui finalement donnèrent plus d'âme aux morceaux, ce qui est assez rare chez des pointures.
Set-list se concentrant notamment sur les deux premiers album de sa discographie (Horses et Easter), tout en mêlant des morceaux de la période rock FM de la fin des années 80, avec le fameux "People Have The Power", interprété avec une force et une conviction hallucinantes devant une foule de plus en plus énergique et maintenant debout sur les sièges ; ou avec des morceaux bien plus intimistes, en début de concert, comme "Grateful" de l'excellent album acoustique Gung Ho sorti au début des années 2000.
La force de la set-list résidait alors dans le fait que tout y allait crescendo. On reviendra sur le tournant du concert, où Patti Smith descendit de scène, allant saluer une bonne partie du public pendant que Lenny Kaye lançait une reprise tonitruante de "You pushin' too hard" des Seeds, épique et mieux interprété que par le regretté Sky Saxon en fin de carrière.
On retrouvera par la suite tous les classiques enchainés avec intensité, comme si la vie du groupe en dépendait soit "Because The Night" et un "Gloria" d'anthologie de plus de 10 minutes, avec une Patti endiablée prête à se jeter dans la foule devenue compacte grâce aux gens du balcon maintenant descendus devant la scène.
Place maintenant à l'unique rappel qui commence par une transe psychédélique limite bruitiste à la "The End" sur laquelle est récité un poème (d'ailleurs beaucoup d'allusion à la poésie ce soir avec des reprises de textes de Baudelaire, Rimbaud et aussi de Verlaine, celui du groupe Television), qui débouchera sur une version survoltée de "Rock'n'roll Nigger", où l'on retrouve une Patti définitivement punk beuglant comme un chien enragé "Jesus Christ is a nigger" et autres paroles provocantes, atteignant des sommets avec une voix rauque sortant du fin fond des tripes.
Le tout suivi d'une standing ovation plus que méritée, par un public conquis et rajeuni quoiqu'un peu frustré par la courte durée du show (un peu moins d'une heure vingt), qui se jetta sur les posters vendus au marché noir.
Patti Smith aura donc prouvé ce soir que ce que les mauvaises langues appellent "les papys et mamies du rock" sont encore loin d'avoir émis leur dernier souffle, ont toujours le poing levé et sont bien plus à l'aise sur scène que la majorités des groupes actuels.
A l'école on appelle ça une bonne leçon. "Respect" comme dirait l'autre ! |