16ème arrondissement. Appartement sur les toits. Déco signée France de Griessen avec roses, aquarelles et miroirs. A l'occasion de la sortie de son premier album, Electric Ballerina (le 26 septembre 2011), elle nous reçoit avec un de ses guitaristes favoris : Shanka, de No One Is Innocent.
On te connaît peu, voire pas. Pourtant, tu fais tout un tas de choses sur lesquelles on reviendra plus tard bien sûr. Mais pour commencer, comment te décrirais-tu ?
France de Griessen : Comme une artiste pluridisciplinaire. Je suis musicienne, auteur-compositeur, chanteuse évidemment, aquarelliste, comédienne, auteur, metteur en scène, performeuse. Depuis toujours, je mélange différents moyens d'expression artistique. Cela ne veut pas dire pour autant que je sois dilettante, comme certains le pensent... J'ai juste construit ma vie autour de l'art, avec les sacrifices que cela comporte. Beaucoup d'artistes sont pluridisciplinaires ! Pour citer des gens que j'aime beaucoup, il y a Patti Smith par exemple, qui écrit, qui est musicienne, qui chante, fait des photos, dessine. Marianne Faithfull aussi : elle a sorti un livre, elle joue dans des films, écrit des textes, compose des chansons, se produit. Il y en a beaucoup dans ce cas. Souvent on connaît un artiste par un certain biais sans forcément savoir le reste. Mais je pense que tout se réunit et tout s'influence.
Comment tout cela s'articule ?
France de Griessen : Ce que j'aime, c'est créer un univers et pour ça j'utilise le visuel : dans mes livrets d'albums, il y a mes aquarelles. Je suis très attentive aux photos que je choisis. Mais tout peut aussi fonctionner de façon indépendante. Quelqu'un peut s'intéresser uniquement à la partie musicale. Ou à mes aquarelles. Ou à ce que j'ai fait en théâtre. Souvent, les gens arrivent par l'une ou l'autre porte et voient le reste si ça leur parle. Avant je ne parlais pas de ce côté pluridisciplinaire. De mes expériences de théâtre alternatif par exemple. Après j'ai fait des choses plus "mainstream", j'ai notamment travaillé avec Edouard Baer. Mais je voulais laisser les gens découvrir la musique et voir le reste plus tard. De même quand je faisais du théâtre, je ne parlais pas forcément de la musique. Maintenant je le fais, parce que c'est moi !
Electric Ballerina, ton premier album, sort très bientôt. On y trouve du rock, du punk, du blues, de la chanson, du français (beaucoup ! ce qui est plutôt rare), de l'anglais. Il est très varié mais il a bien une identité, un fil directeur. Quels sont-ils ?
France de Griessen : Oui tout à fait ! Alors je suis partie d'un conte. Je m'intéresse beaucoup aux contes dans leur version non expurgée. Comme les contes d'Andersen, qui sont à la fois très féeriques et affreux.
Cela transparaît dans tes dessins d'ailleurs...
France de Griessen : Ah merci, je suis contente que tu l'aies vu ! Donc il y a un conte qui s'appelle Les Chaussons rouges : je ne sais pas si Andersen l'a écrit dans cette intention mais pour moi, il illustre parfaitement ce qu'est la vie d'un artiste, en tout cas telle que je la vis, à savoir être en équilibre sur un fil, entre ce à quoi on a besoin d'être connecté, la créativité, le monde de l'imaginaire, le fantastique, le rêve. Ses démons aussi, puisque l'un ne va pas sans l'autre. Et en même temps, il faut aussi réussir à communiquer avec les autres et à partager cet univers.
Ce n'est pas simple. Pour moi en tout cas ! J'ai dû vraiment lutter contre l'auto-destruction. Ne me sentant pas adaptée au monde tel qu'il était et n'arrivant pas à m'y adapter, j'avais tendance à vouloir me faire du mal. C'est vraiment le rock qui m'a permis de comprendre que je pouvais faire autrement, trouver des gens à qui cette chose que je suis parlerait et rencontrer mes pairs. D'autres musiciens, d'autres artistes et évidemment un public aussi. Et des gens qui, comme moi, aspirent à la poésie, à de la violence, à des choses super vénères qui envoient du bois et en même temps très romantiques.
Au niveau musical, on sent bien la filiation du punk français. Les Béru, les Garçons bouchers, Ludwig Von 88 : ils avaient un message politique, un vrai engagement. Et toi ? Que revendiques-tu ?
France de Griessen : Je suis totalement engagée. Le punk est mon école de pensée, il m'a construite. Quand on parle de "no future", souvent il y a une incompréhension de la part des gens qui ne sont pas familiers avec cette culture, qui vont penser que c'est quelque chose de totalement nihiliste. Or, le punk se place dans un contexte social précis et ça veut dire, pas de futur tel que celui que vous nous proposez. Ce qui ne veut pas dire pas de futur du tout. Et si le mouvement est toujours bien vivant, c'est parce que c'est un message de remise en question de la société.
Et cette façon de remettre en question les choses, je la vis au quotidien. Déjà je suis végétalienne : je n'ai pas du tout envie de soutenir l'industrie agroalimentaire. J'invite vraiment les gens à se renseigner sur ce que subissent les animaux dans les usines, pour le confort de l'homme. Il faut se poser des questions. Pour moi, cela a été parfois compliqué, par exemple avec l'autorité. Ce n'est pas parce que quelqu'un est prof ou plus vieux, qu'il a le droit de me dire ce que je dois penser. Je n'attends pas du tout que les gens fassent leurs preuves devant moi. J'attends juste de voir ce qu'ils ont à proposer et si ça m'intéresse, ok. Cela rend peut-être le quotidien un peu plus complexe mais amène aussi à rencontrer des gens extraordinaires, à avoir des discussions riches, qui invitent à ne pas gober n'importe quoi, à s'informer, à réfléchir sur le monde.
Je reviens sur la question des animaux car elle m'est chère : en ce moment il y a un énorme retour de la fourrure dicté par l'industrie de la mode qui essaie d'empêcher les documentaires, les infos de circuler, en la montrant comme un produit de rêve et de merveilleux alors que c'est de la torture, de l'holocauste animal. C'est absolument ignoble. Je n'oblige personne à penser comme moi. Par contre, je pense que c'est vraiment important de prendre conscience des choses. Donc je profite de mes interviews pour défendre mes frères poilus, à plumes et à écailles !
Le message est passé ! Ton titre "I want to be you" a été choisi pour la bande-son d'un film de zombie porn alternatif de Bruce LaBruce dans lequel un zombie "baise" des morts pour les ressusciter. Est-ce que cet univers te ressemble ? Comment cette collaboration a vu le jour ?
France de Griessen : L.A. Zombie est passé à l'Etrange festival, au Festival international du film de Locarno et un coffret DVD est sorti dans plusieurs pays. Cest du cinéma assez provocateur. Il a par exemple été censuré en Australie. Moi je trouve qu'il est extrêmement poétique. C'est ce que j'adore chez Bruce Labruce, qui pour faire passer un message fort, utilise des choses très trash, mais à la fois extrêmement poétiques, romantiques. Il y a un travail sur les couleurs, sur la lumière, hérité du cinéma merveilleux, comme chez Jack Smith par exemple, qui a fait le culte Flaming Creatures. C'est quelqu'un qui a une culture et une maîtrise de l'image incroyable. C'est sûr, il y a énormément de pénis, de scène qualifiées de pornographiques, donc c'est pas évident. Autant, curieusement, il passe tout à fait dans les festivals internationaux, autant en salle c'est plus compliqué. J'adore la provoc' quand elle est faite comme ça. J'adore Virginie Despentes aussi.
Tu as travaillé avec elle d'ailleurs ?
France de Griessen : On a fait une émission, une sorte de moyen-métrage réalisé par Bruce justement. Il y avait Virginie, Béatrice Dalle aussi. Là elle travaille sur Bye Bye Blondie qui va sortir cet automne avec Emmanuelle Béart et Béatrice Dalle et j'ai deux chansons sur ce film. C'est vrai que j'ai fait beaucoup de concessions et de sacrifices pour en arriver là mais j'ai la récompense de travailler avec des artistes que j'adore et avec qui je me sens totalement en phase.
Tu citerais qui par exemple ?
France de Griessen : Shanka, déjà, qui est là, avec qui on a une complémentarité géniale. C'est rare une telle alchimie. Je citerais aussi la personne avec qui j'ai travaillé avant : Michael Gadrat, qui a fait beaucoup de musique ethnique et de new wave. J'aime les choses éclectiques. Je travaille souvent avec une photographe américaine, Sue Rynski, qui a photographié toute la scène punk américaine que j'adore. Natydred, qui a fait ma pochette. J'ai peur d'oublier quelqu'un ! J'ai la chance d'avoir un entourage riche. Dans les gens qui me soutiennent aussi : les médias, webzines, magazines, mon attaché de presse. J'ai aussi sûrement développé un instinct pour reconnaître mes pairs. Je pense que quand on fait ce qu'on veut faire sans concession, c'est super dur, mais ça t'amène là où tu dois aller. Il y a encore plein de gens avec qui je voudrais travailler, j'espère que ça se fera !
Je te le souhaite ! Ce sera peut-être l'occasion d'une prochaine interview. Merci et bonne chance pour la suite.
France de Griessen : Merci à toi ! A bientôt.
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