Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Nancy Huston, mise en scène de Catherine Marnas, avec Sarah Chaumette, Julien Duval, Pauline Jambert, Franck Manzoni, Olivier Pauls, Catherine Pietri, Bénédicte Simon et Martine Thinières.
2004-1982-1962-1944 : quatre périodes pour une saga familiale qui remonte, par la voix, le regard et la souffrance de l'enfant, le cours de son histoire traversée par la grande histoire avec une majuscule, et sur laquelle semble peser un terrible secret, ce fameux secret de famille, qui fait que son arbre généalogique s'arrête brutalement comme si l'aïeul était né d'une génération spontanée.
Tel est l'intrigue du roman "Lignes de faille" de Nancy Huston, qui a reçu le Prix Fémina en 2006 - qui n'est pas sans évoquer celle de la fresque "Le sang des promesses" de Wajdi Mouawad initiée en 1997 avec la pièce Littoral" - dans lequel elle développe ses thématiques de prédilection que sont l'enfance, la filiation et l'identité avec la quête des racines et des origines mais également le déterminisme du traumatisme, l'impact destructeur des parents, l'exil intérieur et l'ambivalence de l'âme humaine qui peut l'amener à être victime ou devenir bourreau.
Catherine Marnas porte cette épopée historico-romanesque qui traverse le 20ème siècle et va de San Francisco à Munich en passant par Toronto, Haïfa et New York, avec une remarquable maîtrise tant en qui concerne l'adaptation pour laquelle elle opte pour un registre mixte de narration et de scènes dialoguées que la mise en scène .
La direction d'acteur d'une rigueur absolue est imparable et tenue sans fléchir jusqu'au terme des quatre heures de représentation qui ne donnent jamais l'impression de pesanteur ni d'ennui ni même de relâchement.
Cela tient à la structure intelligente des quatre actes qui ne souffre d'aucune surabondance superfétatoire et assure la montée en puissance de l'intensité dramatique et émotionnelle jusqu'au terrifiant dénouement, au registre choisi qui use d'une mélange de réalisme social et de distanciation ironique sans verser ni dans le pathos ni dans le larmoyant et à une excellente distribution sans aucune fausse note, tant pour ceux qui incarnent les désarrois et les souffrances des enfants narrateurs que ceux qui sont pluridistribués dans de seconds rôles telle Pauline Jambet.
Tout se déroule dans un lieu unique et symbolique, la cuisine, déclinée selon les codes de chaque époque par Carlos Calvo et Michel Foraison et commence avec Julien Duval parfait en enfant névrosé, "fils de Dieu et de Google", mais aussi d'un père fantôme et d'une mère castratrice (Bénédicte Simon terriblement évidente), archétype en miniature de l'américain nationaliste et raciste. Ou l'Amérique middle class contemporaine dans tous ses pires états.
Suivent Franck Manzoni pathétique en enfant déchiré entre une mère goy pro-sioniste et un père juif révulsé par les exactions du gouvernement israélien, aimant mais inconsistant (Olivier Pauls très juste) et Catherine Pietri accomplie dans le rôle de la petite fille confiée à ses grands parents adoptifs (Sarah Chaumette impeccable en bien pensante à patins des années 60) délaissée par une mère artiste dont cherche à percer le secret.
L'aïeule est superbement personnifiée par Martine Thinières à qui incombe non seulement le rôle difficultissime de l'enfant qui subit un double traumatisme, celui de la découverte de ses origines d'enfant du lebensborn, et celui d'être arrachée à la fin de la guerre de la brave famille allemande à laquelle elle a été confiée, mais également celui de la femme capable de résilience et dont la finesse de jeu conditionne la crédibilité d'un dénouement en point d'orgue qui laisse le spectateur dans la sidération. |