Comédie dramatique de Falk Richter, mise en scène de Jean-Claude Fall, avec Marc Baylet-Delperier, Christelle Glize, Patty Hannock, Philippe Hérisson, Vincent Leenhardt et Céline Massol.
Falk Richter, jeune dramaturge allemand opère résolument dans la sphère de l'interrogation sociale et politique par l'exploration de thématiques récurrentes ressortissant de la manipulation politique, des dérives médiatiques et de l'hégémonie de la sphère économique.
Avec "Hôtel Palestine", il se penche sur la politique extérieure américaine telle qu'elle était concrétisée en 2003, lors de la guerre en Irak, avec son cortège de mensonges, d'exactions commises sur le terrain et les scandales financiers du programme "Rebuilding Irak", manne financière notamment pour la compagnie Halliburton qui a compté parmi ses PDG le vice-président des Etats Unis.
A partir d'un montage de discours officiels et de textes additionnels de son crû qui incluent les nouveaux concepts de "fascisme soft" et de "citoyenneté faible" introduits par le sociologue américain Richard Sennett, il reconstitue une conférence de presse imaginaire - car il n'y a plus que les naïfs rescapés d'une réclusion méditative et les journalistes idéalistes pour confondre conférence de presse, qui n'a pour but que la délivrance du message officiel, et débat d'idées et/ou autocritique de l'Etat - autour des mécanismes de la démocratie médiatique, pour en dresser un état des lieux, certes parfois un peu biaisé et aborder les fondements de la politique impérialiste américaine.
Sur le fond, rien de vraiment novateur ni de proposition réflexive mais un état des lieux, certes parfois un peu biaisé, qui remet certaines idées en place, avec le sens de l'aphorisme, quant à l'Europe, qui n'a jamais tant mérité son adjectif de "vieille", atteinte d'une nostalgie passéiste face au Nouveau Monde tourné vers l'avenir ("Nous avons des visions d’avenir pas des angoisses"), l'Allemagne ("La dénazification de l’Allemagne après la guerre a abouti à un peuple de pacifistes naïfs"), la France ("qui rêve de traverser l'Amérique au volant d'une chevrolet") et bien évidemment les Etats Unis ("Nous prenons très au sérieux notre rôle de policiers et de pompiers de ce monde, car si nous ne le prenions pas au sérieux, ce monde sombrerait dans le chaos"
Ce qui introduit une distanciation qui n'a pas la force et l'humanité, par exemple, de l'opus "Embedded" écrit à chaud par l'acteur, metteur en scène, réalisateur et militant politique Tim Robbins et montée de manière coup de poing par Georges Bigot avec sa Campagnie le Petit théâtre du Pain au Théâtre du Soleil en 2008.
Cela étant, ce qui se dégage de l'ensemble et qui mérite réflexion, tient aux antiennes qui s'expriment toujours sous forme d'un credo trinitaire ("Liberté, argent, démocratie", "Pertinence, justice, légitimité", "Cœur, courage, raison", "Notre pays, notre foi, notre mode de vie") de la politique hégémonique des USA qui se présentent (se croient ?) l’incarnation de la civilisation occidentale investie d'une mission messianique de rédemption du monde.
Dans un décor de Gérard Didier qui substitue à la trop convenue salle de conférence clinique une scénographie pseudo-réaliste tout aussi attendue avec son sol de sable, le fameux sable du désert, et, en fond de scène, comme écran pour la projection d'images notamment d'archives - dont le montage par Laurent Rojol en forme zapping est efficace - un mur surmonté de barbelés, vocation étasunienne du mur de Berlin à la Barrière Etats Unis/Mexique en passant par les centres de détention de triste réputation, Jean-Claude Fall opte pour une mise en scène frontale que l'écriture de type monologale et profératoire de Falk Richter rend incontournable.
Mais il a réuni une excellente distribution et mise, à juste titre, sur le talent des comédiens pour dépasser le rôle écrit d'harangueur et donner un minimum d'incarnation, même archétypale, aux officiants. Tous réalisent une prestation magistrale.
Sur scène donc, deux représentants du pouvoir pour lesquels Marc Baylet-Delperier et Patty Hannock forment un effrayant duo de choc, le premier version diplomatie, la seconde version radicalité musclée, qui ne font qu'une bouchée des journalistes de l'opposition qu'il s'agisse de la tendance molle et désabusée représentée par Philippe Hérisson ou de la passionnaria campée par Céline Massol.
Ils sont d'ailleurs fort bien appuyés par deux journalistes pro-gouvernement qui fonctionnent sur le mode du rouleau compresseur dont la partition, là encore, est axée sur l'ambivalence avec Christelle Glize, l’illuminé petit soldat d’une nouvelle guerre sainte, et Vincent Leenhardt, l’américain pur jus un peu bas du front qui rappelle que les Etats Unis ce n'est pas que New York, Manhattan et la Californie mais aussi l'Amérique profonde qui est plutôt du genre chatouilleux et tire avant de causer.
A voir donc pour se rafraîchir les idées et toujours aiguiser son discernement. |