Il faut que l'industrie et le commerce de la musique soient touchés par une crise bien plus profonde encore que "la crise" que l'on nous ressert depuis 2008 pour qu'un disque aussi excellent que ce Tigers, deuxième opus des parisiens de Cvantez, mette cinq longues années à atteindre les bacs (!) et encore près d'une année de plus avant de parvenir à se faire entendre du chroniqueur, pourtant bienveillant. Ou : comment passer à côté de la reconnaissance méritée.
(...et pendant ce temps, qui caracolait encore en tête des tops des ventes ? Il faudrait en musique être nietzschéens, et dénoncer ce monde de la musique qui n'a que haine pour la musique et pour le monde, et qui sacre plus grand des groupes, meilleur des artistes, les plus hideux des hommes...).
Si l'on devait parler de Cvantez par comparaisons, on n'enchaînerait rien de moins que les plus grands noms du rock indépendant des années quatre-vingt-dix aux années zéros. En vrac et de façon non exhaustive : Blonde Redhead, Sonic Youth, Cat Power, Shannon Wright, les meilleurs Breeders (époque Pod) – oui, rien que des femmes au chant, parce que la voix et le chant de Cyrielle Martin sont parmi les atouts majeurs de la formation ; et : oui, c'est dans cette catégorie-là que la formation pourrait jouer – si...
Si le monde était juste. Si le grand public avait des oreilles et du jugement plutôt qu'un porte-monnaie et de fausses bonnes adresses où se procurer ce que tout le monde se procure, préécouté, formaté pour ne rien déranger, pas la moindre mèche des moindres cheveux. S'il existait des espaces d'expressions artistiques aventureux, exigeants et pionniers. Si le très recommandable label Drunk Dog qui les a judicieusement signés avait également les moyens de les faire entendre.
Malheureusement, on en viendrait à croire que cette sous-exposition du rock indépendant le plus réussi est dans l'ordre des choses, alors qu'elle n'est qu'une dictature de la médiocrité commerciale travestie en démarche artistique. On vend de la soupe musicale l'air de vendre du rêve. La victoire de la mal-bouffe sur la cuisine authentique. De quoi être aigri, tant de gâchis.
Mais on préfèrera préserver son âme de tant de noirceur et se préoccuper de ce qui beau en ce monde. Par exemple en se replongeant avec délice dans le rock mélancolique et vénéneux de Cvantez. Vénéneux comme une pomme d'amour, tendue avec tendresse par une belle femme nue. Promesse d'un monde nouveau, d'un à-venir plein d'exaltation. Une existence pathétique, Nathanaël, plutôt que la tranquillité ; la tranquillité et le confort moderne, payé en trois fois sans frais. |