Tragi-comédie de Matéi Visniec, mise en scène de David Sztulman, avec Ludovic Adamcik, Audrey Beaulieu, Natacha Bordaz, Samuel Bousbib en alternance avec Raphaël Hadida, Liina Brunelle, Angélique Deheunynck, André-Xavier Fougerat, Nicolas Hanny, Yves Jégo, Eliot Lerner, Pierre Maurice, Laëticia Méric, Chavdar Penchev et Patrick Piard.
Sous la Russie stalinienne, Shakespeare c'est beau, c'est gai, ça parle d'amour. Il faut monter Othello, ou Roméo et Juliette, pas Richard III.
Alors pourquoi le camarade Meyerhold s'obstine-t-il à évoquer une page cruelle de l'histoire ancienne dans des costumes actuels ? Pourquoi fait-il d'un monstre sanguinaire un homme éminemment sympathique ? Ne comprend-il pas que le parti les voient, ses allusions ? La camarade Meyerhold voudrait-il perturber les camarades travailleurs qui rentrent fatigués d'avoir beaucoup œuvré pour le bien-être commun par ses allusions déplacées ?
Seul dans sa cellule l'artiste se repasse le film des évènements qui l'ont mené dans sa geôle pour finir par comprendre l'évidence: "C'est Shakespeare qui [l]'a donné! ".
David Sztulman met en scène l'histoire de Vzevolod Meyerhold en en exacerbant le côté fantasmagorique et onirique du récit, faisant de cette dernière nuit une interminable rêverie où sont invoqués une multitude de figures réelles ou fantasmées : de la femme de Meyerhold accouchant d'un camarade bébé endoctriné, à son père bénévole dans un groupe de retraités chargés de veiller au recadrage des allusions déplacées, en passant par un généralissime grand-guignolesque, ou encore Richard III lui-même, pleutre et prêt à retourner sa veste à la moindre occasion.
Ces personnages haut en couleurs sont autant d'incarnations charnelles d'un système où la liberté d'expression n'a plus sa place. Ils peuplent l'esprit de Meyerhold à l'image du parti qui voudrait s'immiscer jusque dans les recoins des cerveaux de tous les camarades pour en manipuler, au sens le plus manuel du terme, tous les aspects, afin de les calquer à la propagande en vigueur.
Yves Jégo (Vzevolod Meyerhold), Nicolas Hanny (Richard III) et Liina Brunelle (Tania) sont particulièrement convaincants dans les rôles principaux, ainsi que la troupe de comédiens qui donne vie avec un entrain plus que plaisant aux différentes figures de Matéi Visniec.
Il y a dans ce "Richard III n'aura pas lieu" un humour empreint de désespoir, une amertume douce et poétique, une folie teintée d'une joyeuse exubérance, à l'image de l'âme slave. On rit beaucoup, mais on frissonne également de voir que le dernier bastion de la liberté humaine, l'esprit, peut se retrouver si gravement menacé.
David Sztulman fait de ce spectacle un bel hymne au théâtre, à la création et aux artistes de manière générale. |