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Interview  (Par mail)  janvier 2012

"Il faut bien un début. Quelque chose qui ouvre l’interview, comme la première scène d’un film". Sur cette image, on voit un homme, assis à une de ces petites tables rondes des cafés parisiens. Devant lui, un ordinateur, un téléphone, un Coca. Le mobile vibre, une fois, plusieurs fois, les doigts s’agitent sur le clavier noir, le regard est concentré-même si les yeux se lèvent parfois de l’écran, s’accordant une pause, une rêverie, une rencontre, qui sait ? Cet homme, ce pourrait être Philippe Besson, répondant à ces questions, postées par mail, il y a quelques heures à peine.

"Une bonne raison de se tuer" est un titre très pessimiste ! Pourquoi l’avoir choisi ? Est-ce qu’il vous est venu après avoir déjà ébauché votre roman ou est-ce que c’est la citation de Cesare Pavese qui en a déclenché l’écriture ?

Philippe Besson : La phrase que Cesare Pavese consigne dans son Journal en 1938 ("Une bonne raison de se tuer ne manque jamais à personne"), soit 12 ans avant de se suicider dans une chambre d’hôtel à Turin, me poursuit depuis longtemps. Elle m’a conduit à m’interroger sur ceux qui décident d’en finir, ceux qui franchissent le pas, ceux qui entrent dans la nuit, parce que personne ne les a retenus. En choisissant d’en faire le titre de mon roman, je savais que je pouvais faire fuir les lecteurs mais il faut savoir être radical, de temps en temps. Et fidèle à ses obsessions.

Dans "Une bonne raison de se tuer", votre héroïne Laura se retrouve seule, désemparée face à cette solitude, elle qui a tant donné à son mari et à ses enfants. A plusieurs reprises, vous soulignez ses "sacrifices". Quelle place doit-on s’accorder, selon vous ?

Philippe Besson : Laura a toujours vécu pour les autres, pour sa famille. Elle s’est réalisée dans son rôle d’épouse et de mère, ce qui, en soi, est respectable. Du coup, lorsque son mari décide de divorcer, alors que ses enfants sont devenus trop grands, elle perd tous ses repères, elle ne sait plus où est sa place, ni même si elle a encore une place. Elle est chassée de la photo, expulsée du rêve américain. Alors elle décide d’aller jusqu’au bout de ce processus de disparition. Cette question ("quelle est ma place ?") est centrale pour moi. Décisive. Parce qu’elle renvoie à votre identité.

Dans "La trahison de Thomas Spencer", vous évoquiez à maintes reprises les mentalités assez racistes du Sud des Etats-Unis, vous en reparlez dans "Une bonne raison de se tuer" à travers l’enfance de Samuel, et puis il y a bien sûr l’élection d’Obama et la crainte que les Américains ne votent finalement pas pour un Afro-Américain. Comment avez-vous vécu cette élection ?

Philippe Besson : Comme un moment d’extraordinaire ferveur. L’Amérique, à ce moment-là, était en proie au doute, enlisée dans une crise économique et morale, elle se voyait en colosse aux pieds d’argile, se demandait si elle n’était pas engagée sur la pente du déclin et voilà qu’un homme, Obama, lui redonnait espoir, confiance. Que cet homme soit noir était extraordinaire, dans un pays qui n’en a pas fini avec les démons du racisme, et qui peut se montrer si conservateur. L’effervescence est retombée, l’Amérique est toujours fragile mais il reste des traces de cet emballement.

Vous qui passez de nombreux mois par an dans ce pays, qu’est-ce qui vous y attire ?

Philippe Besson : J’aime le décalage horaire. J’ai régulièrement besoin de quitter la France, pour aller voir ailleurs si j’y suis. Et j’y suis ! Je suis souvent traversé par le désir d’exil et les Etats-Unis sont une parfaite terre d’exil. A Los Angeles, j’ai trouvé le ciel, le bleu du ciel, la chaleur, le calme (car contrairement à ce qu’on croit, L.A est une ville paisible). J’y écris dans une désarmante facilité, sans doute parce que le seul lien qui me rattache à la France, c’est le lien à la langue, au français, tandis que le livre est en train de se faire.

Vos romans sont graves, voire tristes, alors que vous donnez l’image de quelqu’un de plutôt souriant, heureux de vivre. Vous avez dit dans une interview que vous réserviez votre côté sombre à l’écriture et que c’était une forme de politesse envers les autres de se montrer de bonne humeur. C’est aussi l’attitude que vous avez fait adopter à votre héroïne Laura. Mais n’est-ce pas cette façon de dissimuler ses craintes, d’intérioriser son mal-être, qui la condamne à son isolement et à l’éloignement de ses fils avec qui, finalement, elle n’a jamais rien réussi à partager ?

Philippe Besson : Oui, bien sûr, et c’est cela, la limite de ces mensonges par élégance. On garde tout pour soi, en soi, on en se déleste pas de sa tristesse, de son mal-être, et ça peut grandir, comme une mauvaise tumeur. Le drame de notre époque, c’est l’absence de communication, c’est la primauté du silence. Pour ce qui me concerne, il est exact que je suis retenu de parler par une sorte de pudeur, venue de mon éducation. Je répugne à étaler mes états d’âme et je me dis qu’il vaut bien mieux être léger, frivole, futile, en société. Dès lors, mes quelques névroses reprennent le dessus lorsque je travaille à un roman. C’est une schizophrénie qui, jusque là, m’a plutôt réussi…

On parle souvent de votre style fluide, de vos mots précis. Est-ce qu’il y a des phrases que vous affectionnez particulièrement dans ce nouveau roman ?

Philippe Besson : C’est très délicat de se citer soi-même, c’est très immodeste. Donc je ne le ferai pas. Mais, évidemment, un écrivain doit aimer ce qu’il est en train d’écrire (peu importe qu’il ait tort, qu’il soit un mauvais juge). Il faut se laisser guider, emporter par la phrase, son rythme, sa sonorité. Les plus belles phrases, du reste, sont souvent celles où la sonorité précède le sens.

Vous décrivez la vie de vos deux personnages avec beaucoup de détails - ce qui n’est pas forcément habituel dans votre écriture. Ces détails, c’est ce qui permet de cerner les personnalités des gens selon vous ?

Philippe Besson : Les gens se révèlent dans les détails, car c’est là que réside l’essentiel. Les détails nous trahissent, beaucoup plus que les grandes déclamations, les grands principes. On dit beaucoup plus de soi avec des gestes involontaires, ou mécaniques, avec des paroles de presque rien qui nous échappent.

On vous sent "présent" dans ce roman (par des réflexions sur l’Amérique, ou avec l’apparition de cet écrivain français, dans le café où travaille Laura). Pourquoi avez-vous eu envie, cette fois, de "participer" ainsi ?

Philippe Besson : Parce que j’étais partie prenante de cette histoire. Parce que j’étais dans le café de Santa Monica Boulevard où se situe une partie de l’action, parce que je les ai frôlés, ces êtres cabossés, au bord du précipice, et que je ne les ai pas sauvés. Ils sont mon remords.

Laura et Samuel vont se croiser, tous les deux désespérés. Et la tension de ce roman réside dans la possibilité de leur "sauvetage". Est-ce que vous pensez, vous, qu’on peut empêcher quelqu’un de se suicider, qu’on peut le tirer de son désespoir ?

Philippe Besson : Je l’ignore. On peut au moins essayer d’être plus attentif, d’écouter mieux, d’être plus présent aussi. On est si souvent embarqués dans nos questions personnelles qu’on ne prête plus attention aux autres, même aux plus proches. Je me dis qu’il doit y avoir des gestes qui sauvent, des paroles qui sauvent. Mais, dans le même temps, je me dis qu’on ne peut pas empêcher de se tuer quelqu’un qui est animé par une résolution vertigineuse.

Vous avez une écriture très cinématographique. Est-ce que vous voyez la scène, dans votre tête, avant de l’écrire, ou est-ce qu’elle apparaît grâce à vos phrases ?

Philippe Besson : Je visualise, j’entends. Ce qui donne cette impression d’une écriture cinématographique. J’ai besoin que les choses soient plausibles, vraisemblables. Pour que les lecteurs y croient, pour que l’empathie se crée. Mes livres fonctionnent sur l’empathie, sur le rapprochement avec mes personnages, sur l’identification quelquefois. Donc il faut inventer les conditions pour que cette intimité soit possible.

En plus d’écrire des romans, vous êtes à présent également l’auteur de scénarii et de chansons (Patxi a annoncé que vous étiez en train d’écrire ensemble les chansons de son troisième album !) : qu’est-ce que cela vous apporte ?

Philippe Besson : C’est un divertissement pour moi, une diversion par rapport à l’acte fondamental que constitue l’écriture de romans. Ce sont des vacances, une manière d’être un peu ailleurs, à côté. Et puis, j’aime bien obéir à une commande, travailler sous contraintes, entrer dans l’univers d’un autre. Quand j’écris un livre, je suis dans une parfaite solitude, tout ne dépend que de moi. C’est reposant de s’extraire de cette solitude, quelquefois.

Le thème le plus souvent abordé dans vos romans est l’absence. Comment expliquez-vous que ce sujet soit si présent ? Avez-vous trouvé, vous, la solution pour ne plus souffrir du manque de l’autre ?

Philippe Besson : Non, je n’ai pas trouvé la solution. Simplement j’ai appris à vivre avec mes disparus. Cela a été un long travail, l’écriture m’y a aidé. Aujourd’hui, les absents m’accompagnent, ils ne sont plus une pensée blessante, ils sont au contraire une pensée calme, presque un baume.

Vous dites souvent que vous préférez les romans de fiction. Mais, lorsque vous écrivez, tout est-il inventé ? N’utilisez-vous pas des morceaux de vous, des émotions que vous avez réellement ressenties, des réflexions que vous vous êtes vraiment faites ?

Philippe Besson : Bien sûr, on écrit avec sa propre histoire mais je ne confonds pas vérité intime et vie privée. Il y a entre les deux une frontière que je ne souhaite pas franchir. Et puis, pour être franc, je trouve que c’est un peu paresseux de raconter sa vie. Un peu facile. Je préfère les écrivains qui ont le courage de l’imagination. Nous sommes là pour inventer, pas pour jouer les petits télégraphistes de nos petites vies.

Vos personnages et les thèmes de vos livres  (la rupture, la mort, l’absence, le suicide…) s’ancrent dans l’esprit de vos lecteurs. Pensez-vous qu’un livre doit rester un simple divertissement ou qu’il peut avoir vocation à aider, à apaiser, à prendre du recul ?

Philippe Besson : La lecture, c’est un moment. Seulement cela. Quand c’est fini, on passe à autre chose. Un roman a pour fonction d’émouvoir, de faire ressentir, pas nécessairement de faire réfléchir. Si néanmoins quand on le referme, on se sent plus serein, ou si on a appris des choses sur soi, sur les autres, ce n’est pas mal…

Voilà, c’était la dernière question. Il se relit rapidement, ouvre sa messagerie, retrouve le mail de cette chroniqueuse de Froggy’s delight, y attache le fichier "Word", ajoute quelques mots, gentils, qui feront sourire sa destinataire. Et l’expédie.

 

A lire sur Froggy's Delight :
La chronique de "Un certain Paul Darrigrand" du même auteur
La chronique de "De là, on voit la mer" du même auteur
L'interview de l'auteur en janvier 2013
La chronique de "Une bonne raison de se tuer" du même auteur

En savoir plus :
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Nathalie Clément         
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