Monologue dramatique d’après l'oeuvre éponyme de James Joycedit par Sharif Andoura
dans une mise en scène Antoine Caubet.
"Finnegans Wake" de l’irlandais James Joyce, c’est 17 années d’écriture, 900 pages, 17 chapitres mêlant une trentaine de langues avec un abondant thésaurus de mots inventés pour un singulier roman épique en boucle, réputé illisible, et 20 ans de labeur pour le traducteur français Philippe Lavergne.
Porter au théâtre cette prose dense et intense à l’écriture hermétique ne ressortit même plus à la hardiesse ou à la témérité mais nécessairement à la passion, celle qui anime le metteur en scène Antoine Caubet, qui s'est appuyé sur les propos même de l'auteur qui indiquait "Ce n’est pas écrit du tout. Ce n’est même pas fait pour être lu. C’est fait pour être regardé et entendu.", et le comédien Sharif Andoura qui est le passeur émérite du premier chapitre titré "D’erre rive en rêvière".
Comprendre le texte en temps réel est impossible puisque essayer, au fil de son égrènement, d’en comprendre les mots est pour le commun des mortels qui n'est pas exégète de l'oeuvre, une vaine entreprise. Aussi, cela implique le lâcher prise, de ne plus actionner la compréhension par la raison mais par les sens et l’émotion que dispensent une mélopée d’un lyrisme sans affectation.
Avec en toile de fond, les images d’une remontée très lente d’une rivière, plan-séquence pour signifier la Liffey, la rivière-matrice qui féconde l'Eire, et sur un espace scénique terrien avec son pentacle de copeaux roux, et accompagné d’un grand pantin de confection brute, qui constituent une dispensable illustration pour l'art poétique et ce qui constitue un exercice de style, Sharif Andoura se révèle un conteur exceptionnel.
Il porte, transporte, dispense ce qui se présente simultanément comme une épopée mentale et une élégie unanimiste pour dire et vivre à un instant la présence au monde et qui puise dans la poétique, dans le rêve et dans l’imaginaire, l’imaginaire d’un auteur fortement ancré dans celui de son pays, la légendaire, archaïque et éternelle Eirinn.
Le grand mérite de Sharif Andoura, dont il est aisé d’imaginer l’ampleur de l’investissement et du travail réalisé en amont pour s’approprier et mémoriser une langue aussi complexe, réside dans sa capacité à la restituer sans emphase, comme s’il s’agissait d’une langue naturelle familière, et, tout en y prenant visiblement un grand plaisir personnel, à le faire de manière généreuse à l’adresse du public, restant extrêmement vigilant à retenir l'attention de ce dernier en jouant des ruptures de ton. |