Pièce
de Rodolf Sirera, mise en scène de Panchika Velez avec Olivier
Till et Jean-Claude Bourbault
Gabriel, comédien émérite et reconnu dans
le Paris culturel du 18ème siècle est invité
par un marquis érudit et passionné de théâtre.
Dans un vestibule décoré de pourpre et de miroirs,
il s'impatiente sous les yeux du laquais qui vacque à ses
occupations domestiques et lui propose un verre de vin de Chypre.
L’habit fait le moine et le marquis se révèle
sous la livrée du domestique après avoir berné
son invité. S’engage alors un échange sur l’art
du comédien et Gabriel, fort de sa célébrité
car apprécié par" le meilleur public parisien"
et imbu de son art, s’aligne sur le discours du marquis qui
privilégie le théâtre d’incarnation au
théâtre d’interprétation, le théâtre
vivant face au théâtre déclamatoire.
Le théâtre ne se doit-il pas de montrer l’homme
à l’homme et le terme personnage est-il approprié
? Comment ne pas adhérer à ce postulat ? Las ! La
proie est ferrée et ce dernier se trouve engagé pour
une représentation unique dont les dés sont pipés
dès lors que le marquis entend en faire sonsujet d'une expérience
de physiologie appliquée à la technique de l'acteur.
Car le marquis est savant et retors et veut s’offrir une représentation
qui confirme sa théorie comme il s’offre une toile
de maître ("..je veux que ma pièce
soit unique, moi ! Comme sont uniques mon palais, mes tableaux,
mes meubles, mes bijoux!").
Discours à fleurets mouchetés, échanges passionnants
sur l’art théâtral, le texte à la fois
artiste, philosophe, fantasque et cynique est dense et s’apparente
à un conte philosophique ou à ces discours chers au
siècle des Lumières qui fait bien évidemment
penser à Diderot.
La distribution est parfaite. Olivier Till,
que nous avions vu dans un registre diamétralement opposé
dans Le charlatan, réussit une véritable et double
performance en incarnant, le terme est tout à fait approprié
quand les spectateurs voient son visage épuisé et
défait à la fin de la représentation, un Gabriel
magistral. Double, voire même triple performance : incarner
l’homme piégé qu’il sait être ("Tu
es reçu des rois...mais jamais tu n'accéderas à
leur hauteur.Toujours tu seras un bouffon, un bateleur, un saltimbanque")
et le comédien qui se trouve confronté à la
difficulté d’incarner un personnage.
En vis-à-vis, Jean-Claude Bourbault
est un marquis sardonique à souhait dont l’intelligence
et l’habileté transparaît sous chaque mot sans
effet d’acteur. Le duo fonctionne très bien, de concert,
sans l’ego que génère généralement
ce genre d’exercice vraisemblablement bien canalisé
par la mise en scène de Panchika Velez,
invisible comme il se doit dans le théâtre vivant.
Un beau et fort moment de théâtre.
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