Tragédie de Sophocle, mise en scène de Adel Hakim, avec
Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Garbieh, Kamel Al Basha, Mahmoud Awad, Yasmin Hamaar, Shaden Salim et Daoud Toutah.
Créée en mai 2011 à Jérusalem dans une mise en scène de Adel Hakim, codirecteur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, avec des comédiens du Théâtre National Palestinien implanté dans cette ville, cette "Antigone palestinienne" est une merveille qui atteste que les grandes tragédies antiques ne constituent pas des vestiges momifiées réservées aux spécialistes des langues anciennes mais des textes vivants qui traversent les siècles sans une égratignure dès lors qu’ils trouvent les ambassadeurs émérites pour en porter le verbe.
Adel Hakim a choisi l"Antigone" de Sophocle, qui narre un des épisodes de l'histoire de l'une des deux familles maudites de la mythologie grecque, celle de la lignée royale de Thébes, les Labdacides, dans lequel Antigone, fille d'Oedipe, entre en résistance contre le pouvoir, en bravant l'interdit du roi Créon relatif à l'ensevelissement rituel de son frère bien-aimé, arguant de l'illégitimité d'un édit qui écarte la loi divine
L'inexorable sentence du roi - le corps du frère continuera à nourrir les charognards et Antigone sera emmurée vivante dans le caveau familial puisqu'elle préfère les morts aux vivants - continuera d'alimenter l'inéluctable enchaînement des tragédies : aux cadavres des deux frères ennemis d'Oedipe succèderont ceux de l'épouse et du fils de Créon, fiancé d'Antigone, qui se suicident.
La mise en scène d’Adel Hakim ne cède ni à la facilité, ni à la complaisance, ni à la tentation de l'évidente contextualisation partisane même si la partition de Sophocle joue en effet miroir. Il laisse parler le texte dans ce qu'il a de plus beau et d'universel et la parole à des comédiens palestiniens au jeu incarné, farouchement humain, qui ne se situent jamais dans la déclamation mais dans l'essence de la vie et de l'humain.
Il ne s’agit ni d’une Antigone péplum, ni d’une Antigone orientaliste, mais d’une Antigone résolument contemporaine qui est également une Antigone palestinienne par ses thématiques que sont l'attachement à la terre natale et la résistance légitime.
Ponctué judicieusement par la musique en écho du Trio Joubran, groupe de musique traditionnelle de Palestine interprétée à l'oud, le spectacle se révèle une véritable pépite enchâssée dans une scénographie à l'esthétique somptueuse, et cependant loin d’être pharaonesque, conçue par Yves Collet.
Derrière la place publique autour de laquelle s'installent les membres du choeur comme des passants attablés à une terrasse de café, se dresse, en fond de scène, le palais thébain symbolisé par une monumentale façade métallique parsemée d'opercules mobiles aux évocations plurielles, la trop évidente façade de building mais aussi le Mur des lamentations et une interprétation contemporaine des motifs de moucharabiehs.
Interprété en arabe surtitré en français, le spectacle est porté des comédiens qui dispensent tous une prestation juste et investie. Le drame se noue sous le regard du choeur composé de Kamel Al Basha, Daoud Toutah qui campe également le garde et apporte la truculence nécessaire pour une scène qui revêt des accents de comédie, et Mahmoud Awad, qui incarne aussi Tirésias, le devin officiel venant rappeler au roi l'immuabilité et la prééminence des lois sacrées.
Alaa Abu Garbieh et Yasmin Hamaar apportent toute la fragilité de la condition humaine aux personnages du fils de Créon, de son épouse et de la soeur d'Antigone qui assistent impuissants au duel de titans.
Hussam Abu Eisheh incarne le tyran de manière imposante et redoutable, dont l'obstination mégalomaniaque, les qualités ostensibles de tribun et le chapelet à la main n'est pas sans évoquer quelques figures de dictateur. En face de lui, dans le rôle titre, du sweat à capuche à la robe blanche de vierge immolée, la jeune Shaden Salim est tout simplement époustouflante et lumineuse. |