Dans son "Histoire de la littérature française", Paul Guth a écrit, non sans pertinence, que le théâtre de Alfred de Musset, "du Marivaux et du Carmontelle enrichis de ce qui reste des brasillements romantiques lorsqu'un vent de fronde les a soufflés", est féérique, spontané, bondissant, "insouciant des règles puisqu'il n'est créé que pour le plaisir".
Un théâtre d'une difficulté d'interprétation extrême donc pour le verbe mais également parce que nombre de ses opus n'ont pas été écrits dans le but d'une représentation scénique mais comme "spectacle dans un fauteuil".
Mais c'est, bien évidemment, en connaissance de cause que Jean-Laurent Cochet propose au public un hommage à Musset dans le cadre des rencontres théâtrales autour d'un auteur qui se déroulent à l'Auguste Théâtre depuis 2011 avec pour interprètes les élèves de son cours.
Au programme, une structure judicieuse - un monologue, celui de Fortunio dans de la deuxième scène de l'acte III de "Le chandelier", des scènes à deux personnages extraites de "On ne badine pas avec l'amour" et l'intégralité de la comédie-proverbe "Il ne faut jurer de rien" - comme le choix de deux pièces qui traitent de manière symétrique le même thème du danger et de la peur de l'amour.
Thomas Ganidel assure l'ouverture de la soirée avec le monologue de Fortunio, jeune amoureux encore naïf en plein désespoir amoureux qui fait son éducation sentimentale en se rendant compte qu'il est instrumentalisé par sa maîtresse, engagée dans une autre liaison, pour détourner les soupçons du vieux mari.
Ensuite, les premières entrevues entre Camille et Perdican, les protagonistes de l'amour impossible de "On ne badine pas avec l'amour" sont précédées d'une jolie scène-montage d'introduction entre le Baron, le père de Camille et Maître Bridaine, un des précepteurs.
Face à Patrick Chupin dans un rôle caricatural, celui de Maître Bridaine, comme Anne Kistner dans celui de Dame Pluche, c'est un grand bonheur de retrouver sur scène Jean-Laurent-Cochet qui campe un éblouissant et étourdissant baron maître de cérémonie et marieur enthousiaste.
D'interprétation délicate, les premières scènes entre Camille et Perdican sont des scènes de confrontation non pas entre deux conceptions de l'amour, tous deux l'exaltant, mais dans la prise de risque qu'implique l'engagement dans un sentiment dont la pérennité n'est pas assurée. Vincent Simon campe un Perdican qui peut paraître tiède et le jeu d'Estelle Georget ne parvient pas totalement à traduire les contradictions et les ambiguïtés du personnage qui augurent de la suite de l'intrigue.
Vient ensuite l'intégrale de la comédie "Il ne faut jurer de rien", pièce courte en trois actes rondement menés constitués de scènes qui font la part belle aux duos cocasses, qui constitue le moment fort du spectacle. La mise en scène est particulièrement alerte, la distribution judicieuse et l'interprétation roborative et jubilatoire.
L'intrigue, articulée autour du titre-proverbe, est simple : un oncle, argenté, bourru et sanguin mais dont vibrent tant la fibre familiale que le souci de ses deniers, se résout à jouer le marieur pour établir son neveu impécunieux et insouciant, dont les frivolités et dissipations le lassent d'autant plus qu'il en règle les factures, qui renâcle fortement devant aux liens du mariage, connaissant de première main tant le caractère volage des femmes que le pathétique de la situation de l'infortuné mari.
Dans le rôle de l'oncle, Patrick Bethbeder est truculent à souhait et imprime une dynamique tourbillonnante aux duellistiques scènes virtuoses de face-à-face avec son neveu incarné par Guillaume Beyeler.
Celui-ci, manifestement très l'aise dans tous les registres, incarne parfaitement tant le dandy libertin, à la fois cynique et fragile que le séducteur, parfois ridicule, pris à son propre jeu. Il forme un duo pétillant dans les scènes de badinage amoureux avec Barbara Castin qui réussit une belle prestation dans le rôle de la jeune ingénue, illustration parfaite de comment l'esprit vient aux jeunes filles, celles des figures tutélaires de Molière et La Fontaine n'étant pas bien loin.
Autre couple mais de pure comédie avec les anciens élèves aguerris de Jean-Laurent Cochet qui irradient dans ce registre. Dans leurs dialogues de sourds, Marina Cristalle, dont le public des Master Classes a pu apprécier la qualité d'interprétation également dans le registre de la tragédie, époustouflante dans le rôle de l'affolée girouette qu'est a Baronne, mère de la future mariée, et Pierre Boucard, irrésistible en abbé borderline, sont tout simplement épatants.
Geoffrey Mohrmann et Michael Hirsch, en valet et aubergiste, et Léonard Bourgeois-Tacquet, qui, avec les courtes répliques du maître de danse, prouve qu'il n 'y a pas de petit rôle, complètent la distribution. |