Comédie dramatique de Wajdi Mouawad, mise en scène de Stanislas Nordey, avec Claire Ingrid Cottanceau, Raoul Fernandez, Damien Gabriac, Charline Grand, Frédéric Leidgens, Serge Tranvouez, Julie Moreau, Véronique Nordey, Victor de Oliveira et Lamya Regragui.

Stanislas Nordey reprend "Incendies" de l'auteur et metteur en scène québécois d’origine libanaise Wadji Mouawad qu'il avait monté au Théâtre de la Colline avec, à l'exception d'un comédien, la même distribution.

Séance de rattrapage donc pour ceux qui n'avait pas vu en 2008 cet opus qui forme avec "Littoral", "Forêts" et "Ciels" une tétralogie sur la quête des origines intitulée "Le sang des promesses".

Une mère meurt. Comme pour chaque être sa vie comporte sa part de secret, en l'occurrence un secret lié à un passé tragique dans un pays en guerre et qu'elle a tu de son vivant mais qu'elle n'emportera pas dans la tombe.

Et pour briser ce silence, elle ne procède pas à des révélations posthumes mais usent de dispositions testamentaires pour enjoindre à ses enfants, deux jeunes adultes, frère et soeur jumeaux, de mener une enquête à rebours pour identifier et retrouver leur père et leur frère.

Ainsi, elle impose à ses enfants qui vivent dans un pays sans conflit et dans une société qui exalte l'individualisme, de porter sa douleur, de s'inscrire dans une lignée familiale et d'en assumer les douleurs.

Dans cet opus, et par la réactualisation contemporaine de la tragédie oedipienne, Wajdi Mouawad poursuit la déclinaison de ses thématiques récurrentes articulées autour de la question de l'origine et de la guerre dans une conception du drame individuel qui est une diffraction de la tragédie originelle protohistorique telle qu'elle a été rapportée par le théâtre antique. Les dieux sont morts mais les hommes continuent de porter l'épée et le flambeau de la haine en suivant un fil de sang que seul l'amour dans un "vivre ensemble" pourrait rompre.

Toujours dans le minimalisme ascétique, Stanislas Nordey met en scène cette partition comme un poème épique dont les chants - qui entremêle le passé et le présent, le récit, l'imploration, la déclamation et les intermèdes comiques - sont scandés à coup de gong dans l'espace conceptuel vide et blanc, éclairé par des rampes de projecteurs de stade, conçu par Emmanuel Clolus, qui sert de caisse de résonance.

De l'office d'un notaire canadien notarial, dont Raoul Fernandez donne une incarnation cocasse à la Alfredo Arias, à l'instance juridictionnelle internationale jugeant pour crimes contre l'humanité le bourreau (Victor de Oliveira), la trame de l'histoire (ponctuée par Frédédric Leidgens et Serge Tranvouez) et de l'(en)quête des jumeaux (Julie Moreau et Damien Gabriac) s'exprime essentiellement par un théâtre de paroles portées par la mère représentée aux trois âges de la vie (Charline Grand, Claire Ingrid Cottanceau et Véronique Nordey) et son double (Lamya Regragui).

Malgré une interprétation inégale, surjeu, respiration apnéique ou voix défaillante, des comédiens cantonnés dans un jeu frontal en bord de scène, la puissance lyrique et émotionnelle de la plume de Wajdi Mouawad, à son acmé dans les monologues imprécatoires ou les scènes de confrontation, et qui constituent parfois des moments de grâce absolue, passe la rampe.