Sniper,
un titre bref, comme une déflagration de fusil, qui résume
l’indicible horreur, celle des pays et des régions
en plein chaos politique et ethnique.
L’interminable et récurrente description d’une
écriture impersonnelle, presque clinique, à la manière
de Primo Levi, des meurtres, des viols, des massacres, des exterminations,
des tortures perpétrés au nom du terrorisme d’Etat,
racontées par les victimes ou décrites par les bourreaux,
est physiquement et moralement difficilement soutenable.
Pas de nom, pas de lieux, pas d’identité, pas d’époque.
Qu’importe en effet puisque les crimes commis contre l’humanité
sont universels et intemporels et la stratégie identique
: la manipulation et l’extermination.
La manipulation est érigée en principe de gouvernement.
Sa première cible est les exécutants et elle se fonde
sur la légitimité de la violence au service de l’Etat
et la croyance que tuer est un désir primaire.
Le discours du sniper, si tant est que l’on puisse qualifier
ses propos de discours tant ils s’apparentent davantage à
des propos délirants, relèverait de la psychiatrie.
Même les plus attachés à la liberté intellectuelle
et individuelle de l’homme, fût-il dans un état
de folie par rapport à une norme sociétale, y penseront
dans la mesure où sa folie destructrice et assassine est
sous-tendue certes par un raisonnement délirant contraire
au respect de la vie humaine mais également par des considérations
égocentriques tout à fait sensées. ("
Après mon dernier coup de fusil, l’ordre
régnera. Je participe à ce conflit pour éliminer
cette anomalie porteuse de paroles insensées qu’est
l’homme./Je ne laisserai personne de vivant. Il suffit d’un
survivant pour que l’irrémédiable ait lieu :
l’accusation. Et avec cette chienne malpropre, la condamnation
et la peine").
Quand il se rend compte que le projet raisonné est remplacé
par une obscure boucherie manigancée par des puissants, il
n’en continuera pas moins sa mission de boucher ("Je
tire avec d’autant plus de ferveur que je veux me venger de
ce complot").
La manipulation du peuple pour le réduire à l’asservissement
au régime repose sur la création de la confusion et
de l’incertitude ("Nous devons exploiter
tous les ressorts de la guerre : l’arme de la faim décimera
les civils, la haine raciale brûlera les campagnes, les enlèvements
achèveront le nettoyage ethnique") mais aussi
sur le processus de déshumanisation.
Il faut frapper le corps de l’homme, le martyriser, le dépecer
de manière barbare après l’avoir humilié
et avili pour le réduire à un morceau de viande qui
sera voué à l’enfouissement dans le sol, aller
jusqu’à l’extermination qui seule saura frapper
les esprits. Et surtout, atteindre les femmes, les marquer à
jamais parce qu’elles sont celles qui donnent la vie ("Bafouer
les droits de l’homme est notre but ! Et ce but ne sera jamais
atteint si les femmes ne sont pas réduites en esclavage !").
Dans ces terres sanglantes, on suit la fuite haletante d’un
petit groupe de résistants et le périple harassant
de l’homme qui vient déterrer ses morts pour leur donner
une vraie sépulture. Cette image est totalement hallucinante
: une charette tirée à bras d’homme qui contient
les corps gelés de ses parents et de ses deux frères,
que le froid a saisi dans leur posture d’assassinés,
pour qu’ils ne sombrent pas dans la disparition totale, pour
qu’il reste une mince trace de leurs vies et aussi une trace
du génocide. Un espoir, un devoir d’amour mais aussi
de mémoire.
Un texte poignant qui va à l’essentiel : montrer la
haine de l’autre, qui n’est autre que soi.
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