Troisième jour : Envers et contre tout (dimanche 1er juillet)
De la boue jusqu'aux genoux, un froid de canard, une pluie capricieuse mais tenace. Ce dimanche aux Eurockéennes a quelque chose d'infernal. Pourtant, les festivaliers ne se laissent pas impressionner, voire en jouent : ah, les vertus insoupçonnées du combat de boue entre deux concerts ! Ah, les subtilités esthétiques des bottes en caoutchouc ! Et puis tout cela a un petit air gratifiant de "Woodstock" qui permettra de dire dans quelques jours ou dans quelques années : oui, j'y étais.
16h15 – Club Loggia
L'an dernier, le "repérage" des Eurockéennes de la région Bourgogne avait primé un groupe superbe, qu'on ne se lasse encore aujourd'hui ni d'écouter ni de recommander, les Hit by Moscow.
Cette année, The Buttshakers confirme que la scène musicale bourguignonne se porte bien, voire même très bien, dispensant une soul énergique, plutôt entraînante, le tout porté par d'excellents musiciens et une chanteuse à la voix rare. Le set conquiert un public curieux et attentif devant ces petits nouveaux en costard-cravate qui groovent comme jamais. À vous désormais d'aller écouter leur premier album, Headaches & Heartaches...
17h – La Plage
Les aléas du direct et du déluge : les câbles, trempés, craquent, les techniciens s'activent, trouvent la "panne" avec une rapidité bluffante et tentent le tout pour le tout avec des serviettes sèches. Pendant ce temps-là, les mecs de The Brian Jonestown Massacre s'amusent. L'air rigolard, dans un mime plutôt inattendu qui fait un plaisir fou au public, ils font semblant de rapper sur la scène, micro collé devant la bouche, dans une parodie plutôt réussie – et sans doute très ironique – du groupe de hip-hop précédent. La scène est comble, et des neufs musiciens de The Brian Jonestown Massacre nous retiendrons le charisme d'Anton Newcombe et les simagrées de Joel Gion... À ce propos, il est peut-être temps d'entrer dans la polémique, à propos de la programmation des Eurockéennes : j'ai entendu dire, à droite et à gauche, qu'il fallait penser, l'an prochain, à renommer le festival les Eupopéennes... Si certains choix peuvent en effet être interrogés, les meilleures découvertes de ces trois jours, pour ma part, sont des découvertes rock, purement et simplement. Et The Brian Jonestown Massacre, et dans l'esprit et dans le son – réécoutons ensemble l'album Strung Out In Heaven, dont un des titres a ouvert le live – ont sans conteste permis de maintenir et de renforcer la dimension rock du festival.
18h – Green Room
Place à Refused. Ce groupe, inconnu au bataillon pour ma part, est visiblement très attendu par quelques happy few de bons conseils. On me dit qu'il s'agit de "punk metal" scandinave, que le groupe, pour diverses raisons, a splité dans les années 90 puis s'est reformé en janvier 2012, et que ce "revival" inattendu est à voir et à entendre. Je confirme : c'est, sans hésiter, la claque musicale de mes trois jours aux Eurockéennes. Refused est porté par un frontman survolté, aux screams hyper-propres techniquement. Pour tout dire, la puissance, l'intensité, la révolte, la colère, la violence – la liste pourrait être longue encore – qui parcourent et le set et les textes se révèlent particulièrement contagieuses. Dennis Lyxzén est de ces chanteurs qui choisissent de vivre dans le don total, corps et âme, et l'effet sur l'auditeur subjugué par tant de force vitale en est stupéfiant. Le tout, vous l'aurez compris, tourne désormais en boucle sur mes platines personnelles. Can I Screammmm ?
19h15 – La Plage
Il faut parfois légèrement érafler les mythes : Lana Del Rey arrive sur la scène de la Plage dans une modeste Kangoo blanche, moins immaculée cependant que la petite princesse qui en sort. Tirée à quatre épingles, faux ongles, faux cils, un maquillage déposé au millimètre près, Lana Del Rey, indéniablement, dès les premières notes, envoûte. La surprise est assez agréable, que l'on soit ou non adepte de son "style" musical : en effet, quelques vidéos sur internet, quelques ragots peu discrets, laissaient entendre que la belle, en live, ne chanterait pas toujours juste. Ici, faut-il l'avouer, à sa décharge, la voix est impeccable, de telle sorte que le côté précieux de la jeune diva agace (un peu) moins et complète a contrario un show sensuel et raffiné – tandis que messieurs les photographes tentent de prendre à la volée sa petite culotte en photo. Pour un live sur la Plage, et malgré une prestation un peu trop (con)sensuelle à mon goût, le public est immense, innombrable, honorant par sa multitude l'une des rares dates de la belle en France. Le "buzz" Lana Del Rey n'est donc pas que virtuel...
21h15 – Grande scène
Si l'on a beaucoup pleuré quand les White Stripes se sont séparés, on a aussi beaucoup applaudi quand Blunderbuss est sorti au début de cette année 2012. Jack White, pour son projet solo, a troqué le rouge carmin et le noir corbeau de son idylle musicale avec Megan White pour le bleu "paon" de son nouveau "girls band", The Peacocks justement (et soulignons, d'ores et déjà, la sublime prestation de Carla Azar...). Jack White, ménageant subtilement la chèvre et le chou, jouera à la fois, devant un public conquis, des morceaux de son nouvel album, ainsi que quelques "tubes" des White Stripes. Remercions les Eurockéennes d'avoir programmé ce grand monsieur, devenu désormais un classique du rock, dont le set énergique, généreux et impérial ne pourra rester que dans les mémoires pour les amateurs du genre... dont je fais partie.
23h15 – La Plage
Que l'on se souvienne de The Last Shadow Puppets et de ses deux guitaristes virtuoses à la gueule d'ange, Alex Turner, chanteur des Arctic Monkeys, et Miles Kane, chanteur des Rascals. Ce dernier, parti dans un projet solo depuis 2009, a sorti un album en 2011, Colour of The Trap. C'est donc essentiellement ce dernier que Miles Kane, sorte de Beatles solitaire, et dans l'allure et dans le ton, jouera sur la Plage, de telle sorte que le tout aurait pu être un peu fastidieux, un peu ennuyeux, mais Kane, adepte du live, s'en sort plutôt bien, dispensant un rock indé propre, aux titres incontestablement entraînants – et les petites groupies, massées derrière les crash-barrières, sont là pour le prouver, chantant en chœur et par coeur "Rearrange"...
23h45 – Grande scène
En soi, le hip-hop n'est pas ma tasse de thé, mais il est impossible de contester le fait que Cypress Hill se présente comme un groupe de légende, ayant bercé la plus tendre – c'est-à-dire la plus marginale – adolescence de tout un chacun ayant (un peu) dépassé la trentaine... De plus, à groupe légendaire, titres incontournables : B-Real et Sen Dog, casquettes vissées sur la tête, dans un contre-jour permanent qui fera soupirer les derniers photographes rescapés de trois jours de course infernale à l'image, enflamment la Grande Scène, avec "Hits from the Bong", "Tequila Sunrise", "Insane in the Brain" et quelques grands titres d'album d'anthologie comme Black Sunday ou Temples of Boom. Cette anamnèse personnelle, pour ma part, aura été un heureux bien que nostalgique couronnement de ces Eurockéennes 2012... Une chose est sûre néanmoins – et la conclusion pourra sembler bien fade, bien qu'elle soit envers et contre sincère : vivement l'an prochain. |