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Félicité Herzog  (Editions Grasset)  septembre 2012

La famille pathogène ne connaît pas la notion de classe et, de surcroît, il est résolument difficile d'être issu d'une famille illustre dans laquelle le poids des aïeux et le semble-t-il récurrent manque d'amour rendent douloureuse voire traumatisante la vie notamment des pauvres petites filles riches nées avec une cuillère d'argent dans la bouche dont les supposées vies de princesse font erratiquement rêver les midinettes plébéiennes.

Devenus grands, certains de ces enfants héritiers, mais également otages de leur ascendance, prennent la plume pour sinon exorciser leurs démons du moins le tenter, en dédorant les blasons, révélant les drames intimes et réglant leurs comptes par un essorage en public d'un beau linge monogrammé qui n'est pas toujours propre et ce, d'une manière dont il est parfois difficile de savoir si elle est expiatoire ou résiliente.

En cette rentrée littéraire 2012, deux opus officient dans ce registre : "Laisser les cendres s'envoler" de Nathalie Rheims qui évoque la dynastie des Rotschild et invoque la figure de sa mère et, pour une des "grandes familles" du gotha français, Félicité Herzog avec un premier roman intitulé "Un héros".

Pour ceux qui n'ont pas fait du Who's Who leur livre de chevet et pour qui les lambris de la 5ème République gaulliste ont sombré dans les cavernes préhistoriques, nécessaire est de préciser la filiation de cette dernière.

Félicité Herzog porte un patronyme roturier qui eut son heure de gloire - son père est Maurice Herzog, surnommé le "héros de l'Annapurna", le premier en 1950 à gravir un sommet culminant à plus de 8 000 mètres d'altitude, avant d'embrasser la carrière politique - et sa mère jouit d'une double ascendance de prestige à savoir la dynastie du maître de forges Eugène Schneider qui relance les établissements du Creusot et la noblesse d'Ancien Régime, la lignée aristocratique des Cossé Brissac.

Et de cette dernière a notamment hérité de la fibre mémorialiste et romanesque qui, sans remonter aux calendes pré-révolutionnaires, s'agissant des dernières générations, s'est manifestée chez son grand-père, sa mère et sa tante, participant ainsi à la perpétuation magnificatrice, même en creux, d'une caste.

En effet, elle apporte sa pierre à l'édifice avec l'histoire de sa vie relatée dans "Un héros" qu'elle qualifie de roman autobiographique, une vie qui s'apparente à un parcours d'obstacles, tenant notamment au poids de l'héritage ancestral et à la personnalité de ses géniteurs, qu'elle a franchi non sans dommages et qui a broyé son frère.

Dans ce récit dédié à la mère, ce qui n'est pas le moindre de ses ambiguïtés, placé sous le signe de l'ambivalence des sentiments et dont les coups de projecteurs violents sur la réalité vue sans concession laissent subsister certaines zones d'ombre, le héros du titre, précédé d'un article indéfini, s'avère un héros polymorphe : le père malgré un portrait au vitriol, le frère en détournant le vers célèbre de Victor Hugo sur la piété filiale ("mon frère, ce héros au regard si doux, ce blessé de l'esprit livrant cette dernière bataille malgré lui") mais également le vrai héros qui n'a pu avoir d'incarnation humaine et reste idéalisé dans l'esprit de la narratrice.

Avec son acuité lapidaire et implacable de jeune quadra versée dans la finance de haut vol qui remet les pendules à l'heure avec un bilan sans appel, Félicité Herzog n'épargne aucun des acteurs, tous bourreaux et victimes, de cette tragédie familiale, elle incluse.

Pièce maîtresse de ce grand festin mortificatoire, la stratégie dynastique ("Une fabrique destinée à perpétuer, coûte que coûte, un lignage sans considération ni respect humain, instituant une cécité collective vivre dans un double langage à jamais hermétique et convenable visant désespérément à faire subsister le monde d'hier qui projetait ses derniers feux").

En héritage, des grands-parents élevés dans une société "pourrie de mots d'esprit, d'amours croisées, de drames individuels, d'insensibilité à l'immédiateté comme à la tragédie de l'histoire" et antisémites se glorifiant d'être "une des seules familles à ne pas s'être enjuivée" et qui, pendant la Seconde guerre mondiale, ont joué la carte allemande dans le registre "atmosphère collabo-chic".

Quant au couple parental, un mariage arrangé entre "deux aventuriers dans la maturité de leur séduction, cherchant une normalisation sociale", lui héros-ministre en quête de relations, elle héritière rebelle happée par les moteurs d'émancipation de l'après-guerre, "une paria honteusement repentie" qui regagne le bercail après n'avoir pu faire face à la réalité ingrate d'une vie sans argent auprès d'un mari juif de surcroît hanté par la guerre.

Mais, en l'espèce, la raison ne suffit pas entre "la Parisienne sophistiquée au sourire chatoyant et ourlé de comédienne", "électron libre" dont "émane la beauté de Jeanne Moreau, la vivacité de Monica Vitti", et "l'homme de hautes altitudes, le séducteur mutilé par l'exploit, le cannibale du sexe, un hémiplégique de la sensibilité" possédé par "le désir inextinguible de sublimation à travers le regard des autres", atteint de donjuanisme compulsif et qui menait "une intense vie adultérine" pour se venger de l'intelligence encombrante de sa femme.

Sur ce point, dénonçant la manipulation opérée avec la victoire de l'Annapurna, expédition financée sur deniers publics et sponsorisée par une entreprise de presse pour forger une épopée nationale aux accents guerriers fondée sur "un mensonge de cordée" et ériger un faux-vrai héros en "publicité vivante de ce mythe surhumain proposé à la jeunesse française", Félicité Herzog assène le coup de grâce à la statue paternelle qui a été déjà déboulonnée par le temps et la résurgence de la vérité.

Elle use de la même aune envers sa mère que "les épreuves et les inclinations personnelles (la) portent à démissionner de ses responsabilités familiales, devenues des servitudes domestiques indignes de son niveau : faite pour enseigner Kant mais pas pour éduquer ses enfants".

Conséquence, les deux individualistes ("ni la filiation, ni l'amitié, ni l'amour ne les atteignent durablement") ne donnent pas à leurs enfants l'image d'un serein couple parental : "ils assumaient au grand jour, l'un et l'autre, leur goût, je dirais même leur culte pour le plaisir, une sorte de météo de leurs désirs qu'ils présentaient quotidiennement avec cette franchise née de la grande expérience de la vie et le sentiment de se comporter en parent honnête aguerri, légitimement soucieux de procéder à notre instruction naturelle".

De plus, pour le père idéalisé est absent et/ou inexistant et la mère démissionnaire, les enfants, l'auteure et son frère aîné, font office de punching-ball parental par la mère "qui expliquait entre deux sanglots que nous étions des enfants Herzog, cette violence issue d'une filiation mystérieuse avec les conduites à risque en haute montagne, les familles populaires et la Suisse allemanique originelle" et le père ripostait avec l'intellectualisme et l'arrogance de classe.

C'est dans ce contexte que vont vivre les deux enfants très vite laissés en roue libre : le fils, l'aîné, un enfant solitaire, taciturne, capable de manifestations de rage et d'accès de colère sans limite ayant sa soeur pour destinataire privilégiée, écrasé par le poids des héritages à assumer et perpétrer, et qui va sombrer dans la folie et la fille qui se trouve également investie d'une tâche impossible et inhumaine : sa naissance est délibérément planifiée par la mère pour produire un compagnon au fils premier né afin de ne pas le laisser seul dans une enfance promise à la solitude ("Je serai désormais sur terre, vouée à protéger mon frère et assurer, le cas échéant, le rôle de doublure").

Prenant très tôt conscience non seulement du fardeau mais de cette inégalité inhumaine de traitement et de la négation de son être en tant qu'individu, et malgré une adulation qui l'amène à vivre par procuration, le réflexe d'autoconservation la sauve d'une fatalité imposée de factotum souffre-douleur mais induit une culpabilité sans rédemption ("J'avais été incapable d'assumer le mandat de protection qui m'avait été initialement assigné. Je l'avais abandonné").

Ce coeur de cible du roman est traité avec beaucoup de sincérité douloureuse par Félicité Herzog qui, sans théoriser, décrit le couple mortifère qu'elle forme avec son frère, devenu "un guerrier permanent contre un ennemi imaginaire", un couple à l'amour impossible tout en étant le seul possible. Ni avec toi, ni sans toi.

 

MM         
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