La romancière et mémorialiste Colombe Schneck poursuit dans le registre de l'ethnologie familiale avec "La réparation", qu'elle présente comme un livre qu'elle ne voulait pas écrire mais qui était derrière tous ses livres, qui, mêlant archéologie familiale et autobiographie, comble un hiatus intervenu dans la trame narrative de l'histoire familiale maternelle resté soixante ans occulté.
Après ses mémoires heureuses de petite fille riche qui vivait dans un palais contemporain ("Val de Grâce") et l'histoire du secret qui entourait la vie et la disparition de son grand-père paternel révélée par une coupure de presse ("L’increvable Monsieur Schneck"), elle traque un autre secret investie d'un devoir de mémoire longtemps différé par ses vacuités de "vraie petite Parisienne avec ses peines de coeur".
Puis pour "celle qui se vautre dans les plaisirs instantanés de la vie" commence à poser des questions : l'heure est venue et c'est un prénom, celui de Salomé, qui constitue le petit bout du fil d'une pelote qu'elle va dérouler pour remonter le temps.
Un prénom et la photo d'une jolie petite fille morte en 1943, seuls vestiges d'une vie décimée dans l'enfance, qui surgisssent quasiment du néant,
celui du mutisme délibéré et de la douleur irrémédiable, quand sa mère lui suggère de donner ce prénom à son futur enfant.
Au terme d'un voyage qui passe par les Etats-Unis, la Lituanie et Israël, Colombe Schneck reconstitue une tragédie familiale avec l'histoire des trois soeurs prises dans la tourmente de l'Histoire pendant les heures sombres de l'Holocauste.
De cette histoire elle ne savait rien car l'histoire transmise à sa mère Hélène par sa grand-mère Ginda, émigrée en France au début des années 20, désespérée et culpabilisée d'avoir été celle qui a été épargnée, est factuellement lapidaire et vernaculaire : "Ta grand-mère, ta cousine et ton cousin ont disparu. Tes tantes ont survécu.".
Sa mère Hélène, née en 1932, cadenassée dans les humiliations vécues par ses parents pendant la Seconde guerre mondiale et qui a connu la clandestinité isolée dans une institution religieuse puis avec ses parents, a opté pour le silence ("Toute sa vie Hélène agira ainsi cachant les choses, silencieuse, espérant ainsi que le malheur s'étouffera de lui-même").
Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'elle en parlera de manière elliptique ("En 1998, elle me parle pour la première fois de Salomé, sa cousine dont il ne reste rien, elle m'avoue cette faute terrible, avoir laissé cette petite fille, Salomé, ce petit garçon, Kalman, soixante ans dans le silence").
Et pourtant Colombe Schneck savait que ce qui s'était passé alors "tenait de l'ordre du secret et du miracle" mais pressentait qu'il fallait laisser les choses en l'état : "Ne rien savoir était, je le croyais, une manière de les protéger. Je respectais enfant, puis adulte, face à ma mère Hélène, à ma grand-mère Ginda une nécessité secrète de ne pas les encombrer de tourments supplémentaires".
Mais, même dans les familles qui ne constituent ni des dynasties célèbres ni des lignages entrés dans l'Histoire de France, s'écrit une histoire officielle tissée de secrets et de lacunes dont l'écriture, à un moment donné, révèle les histoires perdues.
Car il y a toujours une génération qui est instituée dépositaire d’une mémoire familiale parcellaire et un de ses membres dont le geste scriptural tend à reconnaître l'oubli ou le silence pour effectuer le travail de réparation et rendre justice aux disparus. Et c'est Colombe Schneck qui, en l'occurrence, officie.
Elle découvre le génocide des Juifs lituaniens perpétré dans ce qui fut le Yiddishland où les Litvaks, qui avaient largement contribué au développement de la civilisation ashkénaze, ont été exterminés en quasi totalité par l'armée soviétique puis les nazis.
Elle découvre aussi que la petite Salomé est morte dans un camp de déportation comme son cousin bébé et sa grand-mère Mary et la raison pour laquelle leurs mères ont survécu : "Maya et Raya n'ont décidé de rien, ce n'était qu'un réflexe de survie. Mary, leur mère en les séparant de leurs enfants, avait choisi : ses deux filles qui avaient à peine trente ans devaient vivre, avoir d'autres enfants, construire l'avenir".
Et comme l'écrit Colombe Schneck "Raya et Macha, après la mort de Salomé et Kalman, avaient choisi la vie et l'amour, quand elles, Hélène et Ginda, avaient, par ces mêmes morts, renoncé, en partie, à la vie et à l'amour". |