"Au Cabaret Vert. Cinq heures du soir, Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines, Aux cailloux des chemins..." Notre cher Arthur Rimbaud se serait-il douté que, plus d'un siècle plus tard, son poème deviendrait le nom d'un Festival de qualité, et que sa trogne d'adolescent rebelle ornerait fièrement son affiche non moins rebelle ? Rien que pour le plaisir de fouler de mes "bottines" les terres d'un poète fascinant, il me fallait aller flâner du côté du Cabaret vert. Et ce fut sans regret.
"Un festival onirique au cœur de la ville" : dans cette formule, rien n'est usurpé. Le site du festival, en effet, se révèle assez exceptionnel. Deux scènes, très bien disposées, occupent un espace sublimé par une déco aussi lumineuse que judicieuse qui rend le stade Bayard, en plein cœur de la ville de Charleville-Mézières, féerique et cosy. On n'oubliera pas non plus de vanter les mérites de stands anti-malbouffe qui proposent de vrais produits du coin et de la bière d'excellente qualité – à côté, le bar VIP "Jack Daniels" paraît même un peu insipide...
Enfin, mille bénévoles arpentent sans relâche le site et ses recoins, incarnant l'éthique résolument écologique du Festival – et je blâme, et je blâmerai encore, tous ces festivaliers que j'ai vus jetant par terre verre, mégots, déchets divers, alors que des centaines de poubelles incitaient au tri... Moralité : nous vîmes cinq groupes le jeudi (c'est peu), dix groupes le vendredi (c'est trop). Voici donc quelques considérations plus intempestives qu'inactuelles sur les "live" d'un festival qui fut pour moi une (bonne) première.
Eagles of Death Metal
Commençons par le commencement, soit l'entrée en scène fracassante de Jesse "Boots Electric" Hughes, dans un dandinement hyper-sexy à faire pâlir n'importe quelle donzelle, le tout sur "Born on the Bayou" des Creedence Clearwater Revival. S'ensuit un set impeccable, où le déluge de rock côtoie un show inattendu grâce à un frontman prêt à tout, hyper-motivé, souriant voire hilare, et visiblement bien décidé à nouer des liens avec son public.
Autre bon point qui ravit les fanatiques : les EoDM jouent tous leurs albums, de Peace, Love, Death Metal avec "I only want you", qui ouvre le bal, jusqu'à Heart on et son légendaire "Wannabe in L.A.", en passant, évidemment, par l'incontournable Death By Sexy. De plus, pas de petit ennui entre les morceaux : Jesse Hughes donne tout, tout le temps, joue érotiquement avec une serviette blanche, boit un (ou deux, ou trois) verres cul sec, rigole avec les groupies collé(e)s aux crashs-barrières... A l'air de se faire plaisir, en somme. Plus en retrait sont les autres membres du groupe : Brian O'Connor, le corps en échalas moulé dans un t-shirt des Arctic Monkeys, encore plus que Dave Catching, qui exhibe tout de même sa Gibson Flying V. Mais... qui est le batteur ? Pas Joey Castillo, en tous les cas, dont on suppose qu'il enregistre en ce moment avec les QOTSA.
Premier live de la soirée, j'avoue que les EoDM mettent la barre très très haut, autant d'un point de vue technique que scénique. La lumière rasante de cette magnifique fin de journée ne gâche rien, donnant un éclat particulier à la moustache rousse de l'homme au t-shirt Jack Daniels – en passant, bravo à l'heureux gagnant qui a réussi à récupérer cette relique en fin de set sans se faire lyncher par ses acolytes de fosse.
Un bémol ? Oui, car il y en a un. Un changement de programmation de dernière minute, indiqué sur le site internet du festival mais immanquablement pas sur les billets, a provoqué quelques tensions du côté des festivaliers qui pensaient le set des EoDM à 20h. Autrement dit, qui, après une course folle à travers le site du Cabaret Vert, n'ont profité, en tout et pour tout, que de dix minutes de concert... Et vu ce qu'ils ont raté, toutes mes pensées les accompagnent.
The Big Guns
Après le coup de massue des EoDM, les Big Guns, qui devaient à l'origine ouvrir le festival, paraissent, malheureusement - et malgré eux, on le sait - bien fades. On découvre, néanmoins, dans ce jeune groupe rémois, une petite formation "ska-jazz" sympathique, estampillée "jamaïcan music", avec des cuivres bien calés, et une belle voix pour mener l'ensemble. Le tout fonctionne, proposant un ska encore vert, moins "endiablé" que prévu, mais qui semble prometteur.
Cancer Bats
Groupe canadien avec à son actif pas moins de quatre albums, les Cancer Bats – dont je n'avais, je l'avoue, jamais entendu parler, bien qu'ils soient visiblement très connus dans leur pays - naviguent dans les eaux troubles d'un métal un peu heavy, qu'agitent les courants chauds d'un punk tout à fait hardcore. Le set est déchaîné, sans conteste, généreux également, car Liam Cormier, le chanteur, fait un effort tout à fait appréciable pour parler français et se lier avec son public, donne tout – mais crache trop... -, tandis qu'on découvre en Jaye R. Schwarzer un bassiste tout à fait charismatique. Mais on ne peut s'empêcher de trouver et les morceaux et le jeu de scène, à un moment donné, un peu trop répétitif. Comparés souvent à Converge ou Hatebreed, les Cancer Bats m'ont aussi fait pensé, dans les sets récents que j'ai pu couvrir cette année, à une doublure, malheureusement imparfaite, de Refused...
Kap Bambino
Faut-il dire, dans un live report, la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? On hésite un peu quand même, car les Kap Bambino, c'est déjà quatre albums, et des fans à ne plus savoir qu'en faire. Pourtant... Est-il nécessaire de s'échiner à faire une phrase syntaxiquement correcte pour évoquer un live dont la substance s'est réduite avant tout, et selon mes oreilles sans doute ignares, incompétentes et fatiguées, à du bruit ? Soyons donc légèrement acide, le temps d'une simple énumération : son hyper-saturé pour un groupe décrit comme "enragé du décibel", cacophonie – pardon : "punk mixé à l'électro" nous souffle le dossier de presse –, cris de souris épileptique d'une chanteuse qu'on remercie quand même d'être en transe, c'est-à-dire d'y croire un tant soit peu, mélodie absente ou brouillonne, voix noyée dans un delay/reverb insoutenable. C'est assez. Et cela est d'autant plus dommage que les albums de Kap Bambino, notamment Dévotion, présentent beaucoup plus de variétés sonores, de maîtrise et de personnalité que le live qu'on a eu sous les yeux...
Manu Chao
Ah qu'il était doux le temps de la Mano Negra, diront certains... Tête d'affiche de cette soirée, Manu Chao propose malgré tout un set généreux (deux heures !) et tout à fait fédérateur – ou presque. Pour l'anecdote, voilà ce que mes oreilles qui traînent toujours un peu ont entendu dans le public : "Et ton pote Y, il vient pas ce soir ?", réponse de l'intéressé "Tu rigoles ? Il m'a dit qu'il paierait pas x euros pour voir chanter un communiste sur scène !". Et au loin, dans le public compact et motivé-motivé, flotte ostensiblement un drapeau de la CGT...
Quoiqu'il en soit, les amateurs de world musique et d'animateurs de foule seront satisfaits de ce live très attendu, simple mais efficace, bien ficelé bien que répétitif, clairement plus familial qu'engagé. Mais qu'importe, le compte est bon et le pari tenu : la foule est emballée, les gens se déhanchent et chantonnent "Clandestino", et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. |