Plus qu'avec aucun autre groupe, il est curieux de constater qu'à chaque nouvel album d'Archive il semble falloir, à tout prix, prendre position, jauger, peser, évaluer, soupeser la nouvelle livraison, vérifier sa qualité, s'assurer qu'elle n'était pas frelatée. Les fans se pâment ou se désespèrent de déception ; les critiques analysent, les analystes critiquent ; il y a même, toujours, au milieu de cette foule aux opinions divergentes ceux qui voudraient arbitrer les débats, en y introduisant un peu d'objectivité, en nuançant à l'extrême, en révisant les jugements passés... Le prix de la réinvention permanente ? À moins que ce ne soit celui de la rareté, de l'ambition et de son originalité ou, plus simplement, celui de la grandeur ?
Pour ma part, j'ai abandonné toute velléité de cet ordre il y a quelques albums déjà. Et ce n'est pas ce With us until you're dead, neuvième en date, qui me fera sortir de ma réserve. L'album possède en effet les mêmes forces et qualités que ses prédécesseurs : un grande diversité dans les sonorités, les atmosphères, les voix (Maria Q, Pollard Berrier, David Penney et la petite nouvelle : Holly Martin) ; une inépuisable réécoutabilité ; mais aussi des compositions clairement inégales, certaines redites (voire : recettes) et une véritable difficulté à trouver une unité à tout cela.
Bien sûr, les sonorités tendent aujourd'hui plus vers l'électronique que vers les guitares saturées. On se souvient souvent du vénéneux Londinium, qui aurait lui-même été contaminé par de palpables tentations dubstep. Les rythmiques machiniques, parfois endiablées, règnent ici en maîtresses. Pourtant, ça a toujours la couleur d'Archive, l'odeur d'Archive, le goût d'Archive. Les compositions sont amples, progressives, complexes, éthérées et aisément reconnaissables. La griffe D. Griffith & D. Keeler, incontestablement, seul noyau stable du collectif.
Bien sûr, vous lirez que l'unité de l'album tient à son thème, puisqu'il regroupe des chansons explorant toutes à leur façon le thème de l'amour. Et de façons, justement, il y en a tellement que ce facteur d'unité vaut surtout sur le papier – là où, justement, on n'en guère cure : de la guimauve fondante à une forme malsaine de violence haineuse à peine contenue à faire passer Trent Reznor ("I wanna fuck you like an animal") pour un doux romantique.
Disons donc simplement qu'il s'agit du tout meilleur album d'Archive – avec Londinium, Take my head, You all look the same to me, Noise, Lights et les deux Controlling Crowds. Pas au sens où l'on y trouverait un "Again" de plus, indiscutable pièce-maîtresse qui ne pourra que traverser les âges et survivre à ses auteurs. Simplement au sens où le collectif, une heure durant, s'y exprime pleinement, jetant dans la bataille tous les traits de sa personnalité artistique, ceux-là même qui, depuis deux décennies, font que des centaines de milliers d'auditeurs s'intéressent à eux, disséquant ou savourant, mais s'y intéressent, néanmoins.
Archive ne fait pas de concessions, se met sur disque comme on se met à nu, sans chercher à plaire, à convaincre, à emporter l'adhésion. Archive semble avoir depuis longtemps abandonné l'espoir d'être autre chose qu'Archive. Rien que cela mérite déjà tout notre respect. Pour le reste – que l'on se contente simplement de passer le chemin des pistes que l'on n'aime pas. C'est le premier et plus inaliénable droit de l'auditeur. |